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Chapitre 2 - Suspicion - Partie 1

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Chap.2

Suspicion

 

                Ce soir là, après que Blérot soit revenu annoncé à Yué que lui et son très cher colocataire adoré seraient de corvée de cuisine le lendemain soir pour infraction à l’interdiction de consommer des substances illicites, Yué se retrouva seul à broyer du noir en admirant la vieille peinture du plafond en cours d’écaillement. Il se rendait à la malheureuse évidence que cette sale teigne de gamin était parvenu à l’asticoter comme personne sur terre n’avait encore su le faire jusqu’ici. Et ce qui contrariait davantage Yué, c’était que justement, les provocations de cet affreux jojo le tourmentaient encore et lui gâchait entièrement sa soirée alors qu’il n’aspirait qu’à la seule de joie de monter un plan diabolique pour écourter son séjour. Il se retrouvait donc à sec au niveau de la créativité en matière d’évasion, ce qui s’avérait être pour lui une perte de temps phénoménale et cela, le gamin le paierait cher, même très cher. Au lieu d’échafauder des plans de fuite, il imaginait divers moyens de tortures en se délectant d’un petit Enoa imaginaire qui hurlait qu’il voulait sa maman et qu’il ne serait plus jamais méchant. Yué finit par en rigoler, il ne se comprenait pas lui-même de se prendre la tête pour un gamin pareil et se préparait à se griller une clope quand il entendit dans le silence nocturne une voiture ralentir vers le portail du centre.

                Il éteignit promptement sa lampe et regarda l’heure affiché par le réveil sur le mur. Ce fut seulement à cet instant qu’il se rendit compte de l’heure tardive et que le gamin n’était toujours pas là. Blérot avait vaguement parlé du père d’Enoa comme d’une affaire urgente, Yué se doutant bien que cela n’aurait pas dû prendre autant de temps, surtout pas une soirée entière et ses doutes envers la véritable nature de la présence d’Enoa ici avec lui ne firent que s’amplifier. Ainsi donc, le petit ne se trouvait peut-être plus dans l’enceinte de l’établissement depuis son départ de la chambre avec Blérot, certitude qui se confirma dès que de légers éclats de voix se firent entendre de l’extérieur, juste sous sa fenêtre, c’est-à-dire au dessus de l’entrée. En tendant l’oreille et malgré le fait que les protagonistes faisaient de leur mieux pour ne pas être entendu par des petits curieux indiscrets qui ne dormaient pas encore, Yué reconnut la voix d’Enoa et une autre, plus grave. Il parvint à l’attribuer à une espèce de salopard qu’il ne tenait en estime uniquement parce que c’était un taré sans faille et sans peur, le genre de dérangé mental imprévisible qu’il ne fallait pas trop chercher mais d’une efficacité, et, quand même, d’une intelligence hors norme. Si Enoa fricotait en affaire avec ce genre d’individu, sa vie ne deviendrait pas facile, bien au contraire, ce gars ayant une sainte horreur du moindres faux pas. Mais d’après la théorie échafaudée par Yué qu’Enoa côtoie cet homme ne le surprit pas plus que ça.

« J’aurais dû comprendre ce soir là… »

                Le calme retomba sur le centre comme si rien ne s’était passé, après que les pas se soient éloignés en direction du portail, un silence de mort s’installa marquant lentement le début de son siège et se mit à oppresser le cœur de celui qui tendait l’oreille. Yué se redressa sur ses coudes, prêt à se lever afin de savoir de quoi il retournait en bas mais, par instinct, en portant la main à sa ceinture, il ne trouva pas son arme. Il fut dans l’obligation de se raviser dès que des pas mesurés se firent entendre de l’autre côté de la porte de la chambre. Le petit Enoa rentrait et Yué se recoucha rapidement, tirant la couverture sur lui pour donner l’impression de dormir à poings fermés, sage comme un nouveau né qui venait de faire son rot.

            La porte s’ouvrit tout doucement et Enoa s’infiltra, comme un voleur à pas de velours, à l’intérieur de la cellule commune. Il prit toutes ses précautions pour le refermer sans un bruit derrière lui, craignant certainement de réveiller Yué. Malgré la prudence dont il fit preuve, Enoa ne devait peut-être pas être pleinement satisfait car il s’approcha du lit de Yué et se pencha au dessus de lui pour déterminer s’il dormait vraiment. Celui-ci, en bon comédien, gardait les yeux clos et respirait de façon lente et régulière. Inévitablement rassuré par cette mise en scène, Enoa quitta sa place de guet et se hasarda à aller ouvrir la fenêtre désormais coincé à jamais ! Il s’y acharna avec une volonté hors norme et contre toute attente, il sortit un cutter à glace de sa besace sacrée et découpa une vitre. Yué n’avait pas prévu ça à son programme ! Décidément, le gamin avait de la ressource et cette fois encore, Yué ne put qu’en être épaté. Les pas légers d’Enoa se dirigèrent vers la petite salle de bain et Yué l’entendit entrer sous la douche, car l’eau qui coulait fit un vacarme assourdissant dans la quiétude de la nuit. Il osa alors s’extirper un peu de dessous ses couvertures pour regarder dans les alentours, la fenêtre découpée, les vêtements d’Enoa jonchant le sol, en somme, un véritable savoir-vivre antisocial. La moutarde recommençait à lui monter au nez envers ce bébé mal éduqué quand sa colère naissante s’effondrât sèchement, le laissant pantois de stupeur.

                Il entendait très distinctement parvenir jusqu’à lui des sanglots d’une souffrance infinie, le touchant sur des cordes sensibles oubliées au plus profond de son âme. Son cœur se serra car de ces pleurs s’échappaient une douleur tellement indescriptible qu’aucun mot, aucune parole ne pouvait les exprimer, le chagrin, révélé par ces larmes, n’était compréhensible que si on pouvait les entendre. De toute sa courte vie, Yué n’avait encore jamais entendu quelqu’un pleurer de la sorte et malgré le fait qu’Enoa ait prit ses précautions en s’assurant du sommeil de Yué et en allumant la douche, il distinguait parfaitement sa douleur s’échapper à travers le mur et venir se perdre dans ses oreilles comme un appel au secours. Il lui semblait que par moment, Enoa tentait de camoufler ses sanglots car ils résonnaient comme étouffés par des mains mal assurées. Visiblement, Enoa ne voulait pas être entendu et apparemment, sûrement pas par son colocataire. En dépit de la défiance dont le gamin avait fait preuve depuis son retour, Yué rejeta ses couvertures et posa un pied au sol pour aller voir le petit et peut-être parvenir à le calmer, voire même à savoir ce qui c’était passé.

« J’aurais dû me lever…. »

                Le bruit de chute d’objets le fit revenir à la triste réalité, rappelant à son bon souvenir les événements de cet après midi même où ils avaient eu tout le loisir de faire connaissance. Le bébé ne s’était pas conduit comme une personne des plus chaleureuse et sa petite fierté lui ferait certainement lancer des objets à la figure de Yué à l’instant même où il apparaitrait dans l’embrasure de la porte, d’autant plus qu’il croyait que celui-ci dormait profondément. Et après tout, qu’en avait-il à faire de cette sale teigne caractérielle si ce n’était que partager une chambre ? Après mûre réflexion, il n’avait qu’à pleurer tout son saoul du moment que le lendemain matin, il lui foute la paix de façon royal. Yué se recoucha donc dans son lit et tira à nouveau la couverture sur lui. Non ! Il ne se ferait pas attendrir par des pleurs qui pouvaient parfaitement être des larmes de crocodiles, et probablement, Enoa était venu se pencher au dessus de lui, non pas pour voir s’il dormait, mais pour s’assurer qu’il l’entende. Il avait la capacité de monter toute cette mise en scène pour qu’il le prenne en pitié et se rapproche de lui, comme un ami. Yué n’avait pas d’ami, en dehors de Nohae qui représentait bien plus un frère pour lui. Ce genre de manœuvre ne fonctionnerait pas avec lui, Yué aussi avait une fierté démesurée, en particuliers lorsqu’il s’agissait de défendre son honneur. Enoa ne pouvait donc en aucune manière prétendre être quoi que ce soit pour lui, et en particulier, parce qu’il travaillait pour l’ami du minable qui était parvenu à le faire arrêter. Mais cela ne se passerait pas ainsi, il ne parlerait pas à Enoa, du moins, rien de véritablement important. Les activités d’Enoa ne troublaient en rien sa vie si bien organisée et gérée d’une main de maître alors Yué ne voyait pas l’utilité de s’en mêler, et même si le petit le lui demandait, il refuserait. Au final, ce gamin ne représentait rien dans la hiérarchie, une petite frappe de rue qui se la jouait, probablement arrêté pour avoir rouler des mécaniques devant les copains.

« Et venir te voir…. »

                Les sanglots d’Enoa finirent par se calmer lentement de l’autre côté de la cloison et durant un temps presque infini pour Yué, le petit laissa couler l’eau du robinet, comme s’il était en train de jouer avec. Cela dura à tel point que Yué en oublia pratiquement ce qu’il avait entendu plus tôt et se sentait de nouveau en rogne contre toutes les mauvaises manières du bébé. Le vacarme aquatique prit fin assez tardivement et après un silence qui dura une éternité, Enoa revint dans la chambre, sans faire de bruit, excessivement sage peut-être car il ne se donna pas la peine de ramasser ses vêtements au sol, ni de revenir voir si Yué dormait toujours. Il alla se coucher, bien caché sous la couverture dans laquelle il finit par s’envelopper entièrement et Yué perçut encore des restes de sanglots qui ne voulaient pas quitter Enoa. Cette fois, il était fatigué et malgré le fait qu’il soit profondément désolé pour le gosse, il ne désirait qu’une seule chose : qu’il cesse ses pleurnicheries ! Son vœu finit par se faire exaucer par la fée Épuisement car le petit s’endormit rapidement, bercé par le bruit du vent qui s’engouffrait dans la chambre. Yué prit la peine de se lever pour venir boucher le trou dans la fenêtre avec un des vêtements qu’Enoa avait laissé trainer sur le sol. Connaissant le phénomène, Yué savait ce qui l’attendrait dès le lever, alors autant s’y préparer à l’avance. Il n’avait pas peur de ce petit morveux qui se croyait tout permit. Il retourna s’allonger dans le lit, écoutant le ronflement du petit qui dormait comme un loir dans le lit d’à côté. Il crut que le sommeil l’avait abandonné à son triste sort et qu’il passerait le reste de la nuit à veiller mais bientôt, ses paupières se firent lourdes et il prit le même chemin qu’Enoa. Tous les évènements de la journée se succédèrent en des images superposées, éparpillant de-ci de-là des bribes de conversations ou de disputes sans cohérence particulière et avant de se perdre dans les méandres du sommeil, Yué pensa vaguement, comme une idée qu’on chasse d’un revers de la main, à lui soutirer des renseignements dès leur réveil.

                Une certaine sérénité retomba dans la chambre pour tout le restant de la nuit, laissant régner une douce plénitude autour des deux corps endormis. Lorsque l’alarme retentit au petit matin, Yué eut l’impression de n’avoir dormit que très peu de temps, son corps ayant des difficultés à s’extirper de la torpeur nocturne. Il se retourna dans le lit, plus que décidé à se comporter comme s’il n’avait rien entendu, cherchant un bon prétexte pour s’excuser d’avoir le sommeil trop lourd. La sonnerie résonna encore une deuxième fois à travers tout le dortoir, émettant un vacarme assourdissant à réveiller les cadavres, même les plus desséchés et à les faire sortir de leur tombe sans le moindre effort. Yué se cacha sous la couverture et grogna. Le froid qui régnait dans la chambre ne lui donnait aucune envie de quitter son lit bien chaud et il pouvait sentir le vent venir lui chatouiller le front. Le vent ! A cette évocation, il ouvrit les yeux, parfaitement réveillé, il se souvint alors que le petit avait découpé une vitre, laissant l’air glacial de novembre envahir la pièce. Ce souvenir le fit froncé les sourcils et lui donna toute la volonté nécessaire pour se lever. Il jeta littéralement ses couvertures à bas du lit et se tourna vers la fenêtre décapitée pour constater avec une grande insatisfaction que le môme s’était levé durant la nuit pour retirer ses vêtements de la fenêtre. Légèrement excédé par les libertés prise par Enoa sans se soucier de ce qu’il voulait, Yué se dirigea énergiquement vers le môme encore endormi comme un petit loir au fond de son nid. Il s’apprêtait à lui retirer brutalement ses couvertures quand il se souvint des pleurs d’Enoa quelques heures plus tôt sous la douche. Son geste se figea en chemin, crispant ses doigts sur la couverture qui enveloppait le corps de l’adolescent rebelle.

                Son regard se porta sur ce visage fin de poupée qui exprimait une profonde quiétude, aucune trace de larme n’altérait les traits de sa frimousse pure et innocente. Il n’avait pas entendu les sonneries pourtant infernales du réveil matin et sa respiration se faisait toujours aussi lente et régulière que le juste bébé qui dormait dans sa crèche pleine de paille un soir de décembre dans la campagne de Palestine, à peine perturbé par la présence de rois mages. Qui pouvait croire que sous ce masque de saint archange se cachait en réalité un abominable petit farfadet impoli et sadique ? Rien qu’à cette idée, Yué fronça les sourcils, agacé à l’avance du réveil du délinquant juvénile. Il prit donc la couverture entre ses mains et tira d’un coup sec, découvrant Enoa qui se retrouva sans défense contre le froid matinal. Yué s’attendait pleinement à ce que la réaction du petit se dirige en premier lieu vers la colère mais il s’aperçut qu’en retirant Enoa si rapidement des bras de Morphée, le gamin parut en premier lieu effrayé. Puis, reprenant ses esprits après avoir frotté ses yeux et regardé autour de lui, Enoa le fusilla du regard.

- Mais ça ne va pas dans ta tête, espèce d’abruti fini ! Ca se fait pas de réveiller les gens comme ça !, lui cria Enoa.

                Yué était impressionné par les capacités vocales du gamin dès le saut du lit. Il n’en aurait pas espéré autant car aujourd’hui, il allait prendre sa revanche sur la journée passé. Présentement, il devait accompagner le bébé durant tout le jour, du lever au coucher, en passant par l’école, la traversée de la route et aussi la becquetée au réfectoire. Il lui sourit franchement en lui jetant la couverture au visage, amusé de le regarder se dépêtrer dans l’amas de toile comme un jeune chiot perdu dans son panier.

- Allons ! Dépêche-toi le marmot ! T’as pas entendu le réveil ou quoi ? Si tu te presses pas un peu plus, on bouffera pas, d’après le dirlo ! Alors bouge toi parce que c’est moi qui suis responsable de tes faits et gestes !

                Jaillissant enfin de dessous les couvertures et encore un peu étourdi par le réveil un peu agressif offert par Yué, Enoa resta abasourdi, dévisageant Yué et ne le quittant pas des yeux alors qu’il se dirigeait à la salle de bain faire sa toilette matinale. Yué avait bien envie de taquiner encore le bébé mais son estomac criait famine et plus tôt il descendrait pour savourer le petit déjeuner et mieux cela serait. Avec tout le boucan que le petit avait fait tard dans la soirée, Yué s’attendait à ce que la salle de bain soit mis sens dessus dessous et pourtant, elle était impeccable, parfaitement nettoyée, tellement propre qu’on touchait même la maniaquerie. Yué soupira. Il ne manquait plus ça, que le gamin soit aussi un maniaque de la propreté, lui, qui jetait ses vêtements sans ménagement au sol et qui ne se donnait pas une peine suffisante pour se baisser et les ramasser. Il entra dans la douche et lorsqu’il voulut fermer la cabine, il se rendit compte qu’elle était bloquée. Enoa avait détérioré la porte pour qu’elle ne se ferme pas entièrement et Yué flairait encore la dispute qui allait survenir dans un court laps de temps. Il prit une grande inspiration pour garder son calme et prit sa douche sans se soucier de cette porte de cabine mais en s’avouant qu’Enoa avait un comportement plutôt étrange. Alors qu’il terminait de se rincer, il entendit que le gamin se lavait les dents dans le lavabo. Il sourit, c’était le moment rêvé pour le faire parler. Il ouvrit donc la cabine et se saisit d’une serviette qu’il enroula autour de sa taille tout en dévisageant le petit bonhomme qui lui rendait son regard en plus méfiant.

Puis il s'avança d’un pas rapide vers Enoa, ne lui laissant pas le temps de réagir quant à ses intentions envers lui. Celui-ci eut tout juste le temps d’essuyer ses petites lèvres et de rejeter la serviette en reculant contre le mur, ses yeux ne quittant pas les siens un seul instant. Yué comprenait parfaitement que le bébé ne pouvait deviner ce qu’il lui voulait de si bon matin et, en plus, à demi nu, sortant de la douche, le corps encore tout ruisselant. Il lui prit le menton fermement et à pleine main pour lui relever le visage vers lui. Il se mit à l'observer sous tous les angles, lui soulevant sa tête un peu dans tout les sens et sans ménagement alors que les mains du petit Enoa s’agrippaient à ses poignets et qu’il avait à nouveau les larmes qui lui montaient aux yeux.

- Hum...Il t’a pas trop cassé !...Tu sembles bien aller ! 

Yué lui sourit amicalement et lui donna de petites tapes sur la joue en le relâchant. L’attitude d’Enoa confirmait ce qu’il pensait, un petit être aussi fragile et si sensible ne pouvait être rien d’autre qu’un de ces sous-fifre dont le devoir était de se dénoncer et de purger une peine à la place d’un autre installé plus haut dans l’échelle du milieu parallèle.

- T'es plutôt fort pour un gaillard, mais il t'en reste énormément à apprendre...Dorénavant, ne pose pas de question, et reste avec moi.... 

Enoa n'appréciait pas du tout les gestes de Yué envers lui, il avait retenu ses larmes, paniqué par l’humeur et la réaction singulière de Yué mais en réalisant qu’il se moquait encore de lui, il le repoussa le plus violement qu’il put et lui lança un regard noir, regard qui n’effrayait que les petits Ewoks dans Star wars d’après Yué.

- Je reste avec qui je veux ! Tu n'as pas d'ordre à me donner!, lui cria encore Enoa qui, décidément, ne savait pas s’exprimer autrement que par une agression verbale ou avec une tonalité agressive. 

Yué balança légèrement sa tête en derrière en se passant la main dans les cheveux. Il fallait qu’il parvienne à discerner la personnalité exacte d’Enoa et aussi que le gamin comprenne qui il était, ce qui ne semblait pas être une mince affaire surtout quand on réalisait à quel point le petit était si peu observateur et long à la détente. Il prit brutalement Enoa par le bras et lui fit un sourire narquois en l'emmenant vers la chambre et cela malgré les gestes de défense paniqués de sa victime qui cherchait à le faire lâcher prise à tout prix. Il le jeta littéralement contre la porte laissée entr’ouverte par les petits soins attentionnés d’Enoa ce qui eut pour effet de la refermer avec un claquement sec. Enoa, d’un geste quasiment naturel, se tourna vers la poignée et la saisit, dans la continuité de sa volonté de garder cette pièce ouverte ou de fuir de devant Yué mais le grand délinquant ne l’entendait pas de cette oreille. D’une main, il refit claquer la porte juste devant le nez d’Enoa et il posa son autre main sur la poignée, s’emparant de la main fine du marmot par la même occasion.

- Tu peux faire ce que tu veux...mais fait le correctement, Enoa. Parce que présentement, tu agis plus en gamin rebelle qui passe sa crise d'adolescence qu’en vrai homme dur... 

Il tourna Enoa avec rudesse vers lui pour qu’il soutienne son regard placide et le plaqua contre la porte sans perdre de vue les petits diamants verts qui commençait à frémir de peur. Yué vint poser sa main sur la porte, le poignet à la hauteur des yeux d’Enoa et découvrant son tatouage de façon claire et nette. Enoa, gardant ses yeux rivés vers Yué, ne perdit pas une miette de son geste et devint blanc comme un linge en apercevant enfin le dessin à l’encre indélébile. Son sang se glaça et ses membres se raidirent davantage, n’osant même plus soutenir le regard de Yué sur lui, il serra plus fort encore la poignée de la porte. Enoa avait déjà vu ce symbole mais il ne savait plus où exactement il l’avait aperçu. Il gardait les yeux baissés au sol et il sentait Yué approcher son visage de lui, ses lèvres frôlant son front. Enoa eut le sentiment étrange d’être comme asphyxié par ce simple contact et commença à respirer difficilement.

- Lâche moi et ne me dis pas ce que j'ai à faire ! Je cherche pas à paraître ce que je ne suis pas. Un vrai homme dur, tu te fous de moi!!, lui répondit-il d’une voix tremblante malgré lui.

                Après ces quelques paroles qu’il parvint à prononcer, Enoa se sentit suffoquer davantage, il osa lever ses yeux sur Yué pour dévisager ce garçon à peine plus âgé que lui et pourtant si sûr de lui. Jamais Enoa n'avait cherché à se faire un nom dans le milieu contrairement à ce Yué qui se tenait de façon si supérieur en face de lui. Enoa, à ce moment là, n’espérait qu’une seule chose : se tenir le plus éloigné possible des gens de ce milieu et de mieux se porter. Yué lui rendit son regard et avança encore plus près de lui.

- Je ne veux pas sauver tes fesses, Enoa... Tu es un bon gars et tu as beaucoup de potentiels, ça ce voit...Tu n'as pas peur de plonger tête première dans le danger quand il s'approche de toi. Tu n'es pas du genre à te défiler. Tu affrontes tête haute.

Il se pencha encore un peu plus vers Enoa et lui murmura doucement à l’oreille.

- Et moi, j'adore les personnes qui possèdent des qualités comme celle-ci !

                Il s'éloigna de lui en prenant soin de détacher avec un petit effort la main serrée d’Enoa sur la poignée. Il prit lui-même l’initiative de l’ouvrir sans pour autant laisser sortir son otage. Le petit parut se détendre tout en restant attentif aux paroles de Yué, devinant sans doute que ce qu’il lui disait était malgré tout important.

- Pour le moment, tu n'es qu'un sous-fifre... Tu suis tel un chiot tout ce que Kenji te dit de faire...Tu pourrais être beaucoup mieux...

                Il se rapprocha à nouveau de la petite oreille d’Enoa et referma la porte d’un claquement sec. Même en se tenant à bonne distance de lui, effleurant à peine son corps du sien, Yué percevait la fébrilité qui atteignait Enoa chaque fois qu’il mettait la porte en mouvement.

- Je ne te parle pas d'arrêter d'être un laquais de service...Je te parle de devenir un bras droit...! , lui susurra-t-il tendrement.
- Tu te prends pour qui de me dire tout çà ? T'as pas d'ordre à me donner ! Y a que Kenji qui se le permet !

                Enoa fronça ses petits sourcils en le regardant droit dans les yeux, sa main tremblante ayant rejoint de celle de Yué sur la poignée de la porte, celui-ci put aisément constater l’état d’inquiétude profonde dans lequel son interlocuteur était plongé. Le gamin pâlit tout d’un coup en scrutant Yué d’un œil soucieux et brusquement, il se tourna vers la porte, saisissant la poignée et la main de Yué, il parvint, avec toutes ses forces, à entrebâiller cette satanée porte que Yué refit claqué immédiatement. Résigné et haletant, Enoa posa son front contre la porte et tenta de respirer calmement, détachant chaque mot pour garder son sang froid.

- Tu connais Kenji si bien que ça ?
- Pour le fait que je connaisse Kenji...Disons que je suis l'ami d'un ami...Et que je le connais relativement très bien... !

                Puis Yué leva une main vers la nuque d’Enoa et vint lui caresser les mèches de cheveux qui se déroulaient en petites cascades sur le cou délicat du jeune garçon.  Il devinait que Kenji tenait fermement le bébé dans ses mains et qu’il n'était pas libre de ses mouvements. Tout les faits et gestes du marmot braillard était régie par cet homme sans scrupule et quoiqu’il ait pu demander à Enoa de savoir, Yué saurait manipuler chaque information qui sortirait de sa bouche.

- Ca va aller, gamin ! Arrête de t'inquiéter maintenant...

                Il lui ébouriffa à nouveau les cheveux pour le rassurer car Yué constatait que l’état de fébrilité d’Enoa augmentait petit à petit et il abandonna sa proie en prenant de la distance avec lui en s'étirant.

- Humff ! Me traite pas de gamin, t'es aussi jeune que moi!, s’écria Enoa en ouvrant la porte. Et puis, je m'inquiète pas ! Arrête tes grands airs, Ben Hur ! Tu voulais parler de quoi ? De toute façon, je suppose que tu veux quelque chose en retour comme tout le monde. 

Visiblement peu convaincu par les arguments de Yué, Enoa le regardait avec méfiance. Que Yué connaisse Kenji par le biais d’un ami d’un ami provoquait un regain de scepticisme chez le bébé qui n’échappa pas à l’œil vigilant de Yué. Il ricana en avisant la mine déconfite du petit qui se demandait sûrement s’il mijotait un truc et s’il faisait bien d'accepter son offre!!

- Il est suspicieux le gamin...je l'adore, railla Yué.


            Puis, brusquement, il redevint sérieux, prenant par la même occasion un air grave car, à son goût, la remarque du gamin n’était pas pertinente. Quelque chose en retour ? Voilà bien une suggestion pour ainsi dire inhabituelle ! Les nouvelles recrues se souciaient en premier lieu des garanties et de la protection qu’on pouvait leur procurer car ils avaient tous besoin, une fois plongé dans les affaires de la rue, de personnes pour les prendre sous leur aile et en particuliers de personnes haut placées. Et ce gamin, lui, il pensait que ce genre de proposition n’était faîte que pour se satisfaire personnellement ! De plus, c’était la deuxième fois qu’Enoa lui faisait ce genre d’avance indécente et Yué n’appréciait pas du tout ce genre de comportement, comme s’il était un animal mené uniquement par des aspirations sexuelles contre-nature. Yué n’avait jamais touché d’homme ou de garçon dans sa vie, il ne donnait pas même ses baisers aux femmes surtout quand il voyait celles qui l’entourait, se réservant pour celle qui saurait toucher son cœur et ce jeune garçon ne pensait qu’à s’offrir au plus généreux. Yué n’était pas ce genre d’homme et cela ne commencerait pas aujourd’hui, encore moins avec un sale marmot trop gâté, teigneux et désagréable.

- Je veux rien en retour...Si c'est ton cul que tu penses que je veux...Et ben j'en veux pas...Je veux juste un sourire sur tes lèvres et un peu de bonheur dans ton cœur... 

Il éclata de rire, un rire moqueur en le toisant de haut en bas comme une curiosité rencontré au détour des dédales d’un parc zoologique. Ainsi donc, le gamin était homosexuel, pubère, en proie à la folie hormonale et Yué s’exhibait ainsi devant lui à demi nu tel un apollon sortant d’un océan en furie. Peut-être même qu’il excitait les testostérones naissantes du jeune garçon et que le comportement fébrile d’Enoa n’était que l’expression extérieure d’une grosse fête dans son pantalon.

- Ca te va comme réponse ? Je te l'ai dit tantôt... Je t'aime bien... Tu as un bon potentiel... Alors pourquoi ne pas s'en servir à bon jeu ?

                Enoa était profondément gêné d’être dévoré par le regard perçant de Yué braqué sur lui, le détaillant des pieds à la tête comme un vulgaire objet de quincaillerie. L’atmosphère devenait pesante car il ne parvenait pas à savoir où Yué voulait en venir, ce qui en rajoutait un peu sur l’agitation qui l’envahissait. Cela ne le rassurait pas du tout. Il ne souhaitait pas non plus avoir l’air d’un couard en prenant la fuite à présent qu’il était à nouveau maître de la porte et que Yué se tenait à bonne distance pour ne pas la refaire claquer. Il se mit à tripoter nerveusement son pendentif en réfléchissant aux intentions probablement indélicates de Yué, ne se doutant pas le moins du monde de ce qu’il pensait de lui au même moment.

- T'as bien une idée en tête, alors vomis ce que tu as à dire une bonne fois pour toute ! Si c'est pour faire de l'ombre à Kenji, c'est pas gagné et je te suivrai pas si c'est ça !

Yue ne put retenir un fou rire. Il ne s’attendait pas à cette réflexion si innocente de la part du vilain petit Enoa. Décidément, ce gamin était réellement imprévisible et son attitude embarrassée le rendait si comique que Yué mit un certain temps à reprendre un semblant de sérieux.

- Faire de l'ombre à Kenji... C'est pas vraiment mon intention, gamin ! Ne t'inquiète pas...

Il commença à faire les cent pas dans la pièce, bien austère tout d’un coup, la parcourant de long en large et réfléchissant à la façon d’amadouer le bébé et de le mettre en confiance. Il s’avérait que l’enfant se présentait plus coriace que prévu et lui demander de changer de camps ne risquait pas de se présenter comme une tâche facile à accomplir. Il le jaugea du regard, cherchant à déceler chez lui une quelconque perversité et trouva dans l’expression de sa physionomie que de la pure authenticité. Il soupira silencieusement et se décida alors à jouer la carte du tout pour le tout en lui parlant relativement honnêtement car tel semblait être les attentes du teigneux.

- Je ne cache rien...Tu es vraiment trop suspicieux, Enoa... Je suis en vacances, présentement... Donc n'ait pas peur... Il est encore à toi pleinement, Kenji... Et tu es toujours à lui.... Tu peux le voir aussi souvent que tu veux. En te demandant de rester avec moi, je ne te dit pas de ne plus jamais voir Kenji... Tu me prends pour qui ? Je t'ai seulement avertie qu'il faut toujours se construire une barre de défense... Et je te propose d’en construire une solide en ma compagnie. Dans les lois de la rue, on n’est jamais assez bien protégé... Tu le sais bien, non ? Et on ne restera pas dans cette prison indéfiniment... Pour ma part... C'est un lieu pour dormir et manger... Sans plus... Car on sait très bien tout les deux qu'en seulement cinq minutes, on peut facilement se barrer d'ici...Disons...Que ma vie continue de tourner même si je suis ici...Et que je la continue pour quand je vais sortir.

Enoa se gratta la tête en réfléchissant à cette tirade qu’il venait de lui sortir. Yué n’avait pas tellement tort, ils n’allaient pas rester ici indéfiniment et leur vie continuerait en dehors de ces murs. Mais Enoa ne se sentait pas du tout à l’aise avec ce garçon. L’idée qu’en réalité Yué était envoyée par Kenji pour le surveiller et tout rapporter lui traversa l’esprit. Peut-être que Yué ne lui faisait passer qu’un test pour mesuré son degré de fidélité envers Kenji et là, ce serait une catastrophe si jamais Enoa venait à répondre de travers. Il n’y avait pas pensé au départ mais il était vrai que tous les deux avaient débarqués de façon simultanée dans ce centre et cela ne pouvait pas être un hasard. Il décida donc de l’évaluer un peu le temps de savoir à quoi s’en tenir exactement et plus tard, quand il le verrait, il en parlerait à Kenji. Le fou rire de Yué l'avait précédemment vexé et renfrogné. Aussi, décida-t-il de se montrer le moins aimable possible avec Yué malgré le fait qu’il ne l’était déjà pas.

- Pfff ! Je comprends que dalle de ce que tu racontes et arrête de m'appeler gamin, gamin ! J'ai pas l'intention de rester avec Kenji, je ne l'aime pas. Du moins, pas comme lui ! Et puis, ça te regarde pas avec qui je veux rester ! Ce mec m'a épargné le trottoir, c'est tout. Et je vois pas comment construire une barre de défensive, Kenji a des yeux partout, je peux pas respirer sans qu'il soit au courant. Tu me gonfles ! Tu veux continuer ta vie, comme c'est louable!, lui dit-il de façon très sarcastique. Franchement, je vois pas en quoi je peux être concerné par ta petite personne !

                Yue fit volteface vers Enoa car là, vraiment, il commençait à être franchement énervé par le bébé et tanpis si c’était lui-même qui avait commencé cette fameuse discussion, le mioche prenait trop son aise pour dépasser les limites. Il s'avança vers lui, l’air sombre et la colère au front, au point que le petit ouvrit la porte pour s’en aller. Il l’attrapa juste à temps pour ne pas qu’elle s’entre- baille trop et ne laisse partir Enoa.

- Hey ! Ho ! Le Gamin ! Tu ranges ton air hautain avec moi, tu veux ? Ca commence vraiment à me titiller les nerfs et ca m'agace un peu ! Une barre de défense... Tu veux savoir ce que c'est ? Pourtant c'est simple... Si tu pense que Kenji à des yeux partout... C'est justement parce qu'il possède une bonne défense. Il a des hommes à son service et il possède de bons alliés. S’il est dans la merde, il a toujours une personne pour le protéger ou le venger. Mais ne pense pas qu'il soit le seul ainsi... Lui-même à un supérieur qui répond à un autre supérieur... Kenji reçoit des ordres et doit exécuter pleins de trucs pour des personnes plus hautes placées. Il a su faire sa place et il a accepté d'être sous l'aile de certaines personnes pour se retrouver dans la position ou il est. Maintenant, son fessier est rudement bien protégé.

            Il se passa une main dans ses cheveux en soupirant car vraiment, si le gamin continuait dans cette voie, il finirait par être à court d’argument et cela risquait de réellement le vexer. Il se pencha vers Enoa et le regarda dans les yeux pour capter toute son attention. En approchant de plus en plus son visage du sien, il vit le petit déglutir avec difficulté en soutenant son regard intransigeant et tout d’un coup, sans crier gare, il le saisit au visage, serrant fermement sa poigne sur sa petite mâchoire. Surpris, Enoa recula mais se retrouva bloqué contre le montant de la porte, se trouvant dans l’obligation de continuer à planter ses pupilles dans celles de Yué. 

- Mais vas-y..., continua durement Yué. Laisse ton cul se balader seul dans la rue et ton cul va se retrouver dans les mains de tous et il va souffrir... Il t’a sauvé du trottoir ? Parfait !... Moi je te sauve de ta mort ? Tu décides quoi ?
- Me demandes pas de choisir, puisque de toute façon, j'ai pas le choix. Dès que Kenji se sera trouvé un autre joujou, je serais à la merci de n'importe qui ! J'y ai souvent pensé mais vois-tu ta proposition ne me semble tout simplement n’être qu’une bonne idée ! Et je te parle comme je veux, gamin ! Je te trouve bien sûr de toi, gamin, lui répondit Enoa sur le même ton que lui en reprenant un air assuré sans détacher ses yeux de lui et essayait mine de rien de le faire lâcher prise en tentant d’enlever sa main, doigt par doigt. T'as quoi ? Un an ou deux de plus que moi, et tu te permets de me juger ? Tssss ! Tu commences à sérieusement m'agacer. Tu parles beaucoup pour toi, là ! En fait, tu t'en fous qu'on comprenne pas un traître mot de ce que tu dis !
- Justement, reprit Yué qui plongeait son regard plus loin dans l’océan d’émeraude. Je te demande de rester avec moi pour le jour ou Kenji va se lasser de toi... Comme ça, tu seras pas à la merci de n’importe qui, tu vas être avec moi...gamin !

            Mêlant son dernier mot à son geste, il attira Enoa d’un coup sec contre lui à la place de lui ficher une bonne paire de claques.

- Et même si j'ai un an de plus que toi, crois-moi, t'es un gamin comparé à ce que j'ai vécu. La rue, je suis tombé dedans dès ma naissance. J'en connais les règles et les lois par cœur...J'ai même fondé certaines d'entre elles...Et pour ta gouverne... Tu piges que dalle parce que tu veux rien comprendre... Et ton Kenji... Ben, je suis un de ses supérieurs... Et si tu trouves ma proposition excellente depuis le début... Veux-tu me dire pourquoi nous avons cette conversation ?

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