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Chapitre 2 - Suspicion - Partie 2

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                Un peu exaspéré, il le lâcha en le repoussant, faisant reculer Enoa qui le dévisageait de façon très alerte. Dans un premier temps, il se flatta le menton sans prononcer un mot, se contentant de fixer un Yué en colère.

- Arrêtes ! Tu m'impressionnes pas!, lui cracha enfin Enoa qui eut un rire un peu nerveux. Tu vas encore inventer quoi pour que je me pâme d'admiration devant toi ! Je suis ton idée parce que c'est une opportunité, c'est tout ! Et puis, c'est toi qui me l'as proposé. Au cas où tu l'aurais oublié ! Maintenant, si t'as pas autres choses de plus concret et de plus convaincant, on n'a plus besoin d'en discuter ! Tu te prends pour qui, là, vraiment ?
- J'en ai rien à foutre que tu te pâmes pas devant moi, lui répondit Yué en rigolant sarcastiquement. J'en veux pas de ton admiration. Pour moi l'admiration est sœur de la Pitié... Au même titre que l'amour est sœur de la Haine... Je veux rien savoir de tout ça, c'est des foutaises. Par contre, je suis un clameur pour le respect..., continua-t-il en avançant à nouveau vers lui. Et je veux ton respect... Je te respecte et j'en attends de même venant de toi.

            Il avança tellement vers Enoa, que celui-ci recula autant qu’il put mais il fut butter contre le mur qui ne se trouvait pas loin derrière lui. Yue mis sa main au mur et revint se placer face à face avec le marmot.

- Tu es à Kenji, autant que celui-ci est à moi..., lui dit-il en détachant chaque mot. Alors tu arrêtes ton charabia de gosse trop gâté qui veut rien comprendre... Ton Kenji est à ma main... Comme beaucoup de personnes, figures toi... 

              Puis, se penchant à nouveau sur Enoa, il murmura à son oreille, comme un secret tendrement soufflé :
- Cependant, sache une chose, je n'abuse jamais de mon pouvoir pour rien... Et je suis loin de me vanter... Sauf quand un gamin comme toi m'y oblige. Je suis un neutre de nature... Seulement, si tu cherches à vouloir atteindre ma vie... Je vais tout faire pour survivre...

                Enoa baissa la tête et serra les poings. Il ne voulait pas le croire, c'est vrai, mais de là à le traiter d'enfant gâté, c’était totalement faux. Yué se trompait sur son compte et de plus, Enoa en était certain, il n’y avait personne au dessus de Kenji. Celui qui y était ce n’était pas Yué donc, ce garçon devant lui n’était qu’un bluffeur.

- Pourquoi je voudrais atteindre ta vie?, lui cria encore Enoa. Je ne te connais pas ! Mais toi ! Tu sembles connaitre beaucoup de choses, et çà, çà me dérange !

                Le petit Enoa retenait ses émotions et les sentiments qui l'envahissaient autant qu’il pouvait mais tout ce que Yué venait de lui dire remuait une foule d’émotion dans son petit cœur sensible. Il serra les dents et frappa Yué à la figure, une bonne grosse gifle comme il pouvait en faire quand il le voulait.

- Je ne suis pas à Kenji!, continua-t-il à lui crier, au bord des larmes. Je te permets pas de dire ce genre de chose ! Tu ne me connais même pas ! Tu débarques dans ma vie en jouant le mec qui sait tout de moi ! T'es qu'un sale fumier, un profiteur, un opportuniste ! Et je vois pas pourquoi je suis en train de te causer avec toi ! C'est pathétique !

            Yue encaissa le coup sans rien dire car il comprenait qu’il venait de toucher une maille délicate du petit et qu’il ne fallait pas la rompre. Il se flatta la joue et cracha au sol avant de revenir porter son regard sur Enoa, le tout accompagné d’un petit sourire.

-Tu commences à te dégourdir gamin ? Ca te déranges que je connaisse tant de chose ? Tu penses que je vaux rien ? Tu n'es pas à Kenji, tu dis ? Et tu veux pas me croire quand je dis qu'il est plus bas que moi....

                Il adossa de nouveau Enoa contre le mur et passa ses bras de chaque coté de lui pour les accoter sur le mur. Puis, se penchant à nouveau vers son oreille pour lui murmurer de doux mots, il lui donna un baiser sur la joue avant de rajouter.

- C'est ça avoir une barre de défense... Y a toujours quelqu'un pour te protéger ou te venger...

                Enoa ne lui répondit pas mais il essuya rapidement une larme qui commençait à perler au coin de son œil. Il se glissa par-dessous le bras de Yué pour rejoindre la porte, il en avait assez entendu et il ne souhaitait pas poursuivre cette conversation complètement inutile qui ne les menait finalement à rien. De toute façon, Yué ne comprendrait pas.

- HEY ! Une dernière chose, l’interpella Yué ! T’es claustrophobe, pas vrai ?

                Hébété, Enoa le regarda longuement, la bouche ouverte, ne sachant quoi lui répondre, la surprise étant un faible mot pour décrire le sentiment qui régnait à ce moment là en lui. Yué savait qu’il avait vu juste car son petit jeu avec la porte avait parfaitement porté ses fruits, Enoa avait paniqué à chaque fois qu’il l’avait refermé. Il s’amusa à le voir hésiter pour donner une réponse et se disait en son fort intérieur que ce serait bien marrant si le petit lui répondait par la négative. Ainsi, il pourrait voir son visage quand il mentait. Le môme releva la tête vers lui, le regard comme des lance-rockets.

- Qu’est ce qui te fait dire ça ?
- Ta manie de garder les portes ouvertes, riposta Yué, du tac au tac et avec le sourire.
- Tout le monde le fait ! C’est pas une preuve ! Je ne suis pas claustro-machin !
- Et le trou dans la fenêtre. ? C’est quoi alors ?, polémiqua Yué en faisant mine de faire un pas vers lui.

                Enoa ouvrit en grand la porte, probablement par crainte que le manège de Yué continue, et prit une grande inspiration avant de lui crier, comme à l’accoutumée, apparemment pour habituer Yué aux décibels :

- Parce que tu pètes quand tu dors ‼

                Et sur ces mots gracieux, Enoa prit la fuite à toutes jambes, se saisissant de son sac sacré alors que Yué éclatait d’un rire sonore comme jamais il n’avait rigolé dans sa vie, se tenant les côte tellement le petit gamin était comique. Il le suivit malgré tout dans la chambre et alors qu’Enoa s’esquivait de la chambre, il lui lança :

- Hey ! Gamin ! C’est moi qui devrais être vexé, là !

                Enoa ne prit pas la peine de lui répondre, il referma rapidement la porte derrière lui et parti en courant. Yué, de son côté, en profita pour s’habiller en paix, sans gamin pour lui prendre la tête, avec toute la tranquillité dont il avait besoin pour réfléchir à ce qui venait de se passer. A présent, il connaissait le visage d’Enoa quand il mentait et cela ne ressemblait en rien avec toutes les expressions qu’il avait vu chez le rejeton jusqu’à maintenant. Ce qui signifiait qu’Enoa ne mentait pas, ou n’avait jamais menti, seulement ce qui lui paraissait des plus incompréhensibles était ce comportement sans cesse agressif de la part du bébé. Enoa semblait être constamment sur ses gardes et ce qui perturbait aussi Yué, c’était ses larmes de la veille. Le gamin paraissait bien se porter, vu sa forme olympique dès le réveil mais rien ne donnait d’indice sur la situation dans laquelle il se trouvait. Yué songea à celui qui les épiait le soir même à l’angle du couloir et fronça les sourcils. Sa réflexion risquait de le mener loin car si tout cela n’était qu’un plan machiavélique de la part de Kenji et de son ami Asahi pour le faire tomber, Yué serait dans l’obligation de se défendre et de faire intervenir des personnes placées dans les très hautes sphères de la hiérarchie. Et là, qu’il y ait un gamin pleurnichard tout innocent ou pas, Yué leur donnerait une bonne leçon dont aucun ne s’en relèverait.

                Voyant que l‘heure avait tourné sans lui et qu’il était déjà en retard pour le petit déjeuner, il décida qu’il serait préférable de prendre une clope devant le portail plutôt que de se servir une tasse de café qui devait plus ressembler à du pipi de chat qu’à une espèce de boisson chaude revigorante en tout genre. Sa colocation le rendait déjà bien las et il espérait que sa journée se déroulerait autrement sinon, il sentait que le soir même, il serait dans l’obligation de donner une fessée à un petit chieur. Il tâta ses poches et se souvint qu’on lui avait confisqué son téléphone portable au poste de police. Les enfoirés ! Qu’à cela ne tienne, il en taxerait un d’office à un petit jeunot de l’école pour sans-poil où il devait conduire Enoa. Surtout que les enfants, de nos jours, avaient de superbes portables que même un adulte qui travaillait ne pouvait pas se payer. Après tout ces évènements, Yué en avait des questions à poser et des choses à raconter à Nohae. En jetant un coup d’œil à la fenêtre, il aperçut Blérot qui dégourdissait sa bécane en la faisant vrombir. Yué admira sa moto en se mettant en tête de devenir pote avec ce gars car il se trouvait qu’au final cet éducateur portait sur lui une bonne once de bonhommie et de sympathie. Il prit son attirail pour la journée, c'est-à-dire clope et argent et fila dans le hall rejoindre le marmot et les autres pour prendre la direction de leur école.

« Je regrette de t’avoir laissé pleurer seul… »

                Yué descendit les rejoindre de façon très nonchalante et se retrouva nez-à-nez avec une bande de jeunes lycéens alors qu’il s’attendait à trouver des gamins de l’âge d’Enoa. Celui-ci se dissimulait au milieu d’eux, faisant profil bas et non loin de là, le directeur parlait énergiquement au téléphone, faisant de temps à autres de petites courbettes pour exprimer son assentiment. Yué le trouvait fort pathétique et rejoignit le groupe, comprenant très bien qu’il venait de manquer le briefing des nouveaux arrivants. Il n’attendit pas d’avoir quitté l’enceinte de l’établissement pour s’allumer une cigarette et échangea juste un regard inquisiteur avec monsieur Fernandez en franchissant le portail. Marchant à l’écart du groupe, silencieux, Enoa les suivait sans se mêler aux conversations animées des autres jeunes. Yué ne se retournait pas vers lui de crainte de l’effrayer à nouveau ou de le vexer et se convainquit qu’il n’en avait rien à foutre de la vie du morveux. Cependant, l’idée qu’Enoa soit en âge d’aller au lycée ne lui avait pas effleuré l’esprit car il le croyait beaucoup plus jeune.

                Leur entrée au lycée fut un moment mémorable dans la vie de Yué. En effet, pour la première fois, il était l’attraction, celui qui alimenterait les conversations de la journée étant donné qu’il était le nouveau surveillant-délinquant. Le groupe parmi lequel lui et Enoa était venu s’éparpilla rapidement dès qu’ils passèrent les grilles de l’école et Yué sentit une présence se rapprocher de lui. Nul besoin de jeter un coup d’œil derrière lui pour deviner qu’il s’agissait du petit Enoa. Il ne pouvait pas lui en vouloir d’être mal à l’aise avec tous ces regards braqués sur eux, surtout lorsqu’on était un punky junior et que tout le monde ici portait un bel uniforme à cravate. Il y avait vraiment de quoi ne pas se sentir dans son élément mais Yué continuait de faire bonne figure malgré le fait qu’il aurait préféré, et de loin, être à cent milles lieues de là.

                Le régiment d’accueil vint les saluer poliment en se présentant comme les délégués des élèves de dernière année et que leur rôle était de leur apprendre les règles de l’établissement, qu’ils étaient là pour les aider. L’un d’entre eux invita le petit Enoa à le suivre et, toujours fidèle à lui-même, le gamin marqua un temps d’hésitation, les sourcils froncés en signe de méfiance et n’obtempéra que lorsque le délégué en question lui réitéra son invitation deux fois de suite. Yué, quant à lui, d’apparence docile, suivit son délégué vers une salle bruyante d’où s’échappait des éclats de voix très animées de jeunes lycéens livrés à eux même. Plongé dans ses réflexions, il n’écoutait pas les instructions et les directives données par son mentor pendant tout le trajet, il préféra faire état des lieux. Dès qu’ils eurent franchis le seuil de la salle de permanence, un silence tomba dans la salle et tous les regards se braquèrent sur Yué, le nouveau pion. On entendait, de ça, de là, des chuchotis, des rires étouffés, tout ce qu’il fallait pour mettre Yué de mauvaise humeur. Pour la peine, il laissa au délégué, dont il n’avait pas saisit le nom, de le présenter courtoisement aux élèves et, stoïquement, le laissa repartir en l’abandonnant seul avec la horde d’adolescents excités. Devant l’allure féroce de Yué, beaucoup d’entre eux firent profil bas, la rumeur ayant fait courir le bruit avant son arrivée que Yué était un assassin de première zone contre lequel la justice n’avait pas pu réunir de preuve et qui se retrouvait parmi eux pour une mise à l’épreuve avant sa remise définitive en liberté.

                Yué croisa les bras en jetant un regard à la circulaire. Il attendait le bon moment pour obtenir ce qu’il était venu chercher et bientôt, cette occasion se présenta à lui, comme un cadeau tombé du ciel. Une racaille très, très dur tout droit éclot de la douce couette lavée par maman, sorti son téléphone de sa poche et se mit à parler, à rigoler de façon extrêmement sonore en croisant les pieds sur la table. Il n’en fallait pas plus pour Yué qui se dirigea droit sur lui, faisant baisser la tête à chaque marmots devant lesquels il passait et qui faisaient mine de travailler. Le bouffon leva les yeux sur Yué et lui fit un signe évasif de la main pour qu’il fasse place net, continuant à sourire et à rire bêtement au téléphone à propos d’une meuf qu’un super pote avait branché la veille dans une boite de nuit ultra trop à la mode : le Chase, appartenant à Yué soit dit en passant, et tournant même le dos à son nouveau supérieur. Durant quelques secondes, Yué imagina comment réagirait le petit Enoa face à ce genre de situation mais il reprit rapidement ses esprits et arracha le téléphone des mains du bon fils à sa mémère.

- Hé !, lui lança le gars. Tu te prends pour qui, sale bouffon de sa mère ! Vas-y ! Tu raboules tes couilles et tu crois que tu vas me choper mon portable tranquilou comme le cul de ta reum ? T’es sur mon territoire, face de citron !

                Yué, qui avait déjà fait quelques pas se retourna vers son interlocuteur en ramassant au passage un yoyo qui dépassait d’une trousse. Il enfila le fil sur son doigt et l’envoya en plein milieu de la face du rebelle des bacs à sable, lui brisant le nez et faisant gicler le sang sur les cahiers tout propres du vaurien. Puis, toujours aussi calmement, il reposa le yoyo ensanglanté sur la table et sortit de la salle de permanence, son principal problème n’étant pas les devoirs des petits enfants mais son coup de fil important. Il se dirigea vers le toit où il s’alluma une clope en composant rapidement un numéro.

- Salut, Nohae !
- Yué ! Ca alors ! Je te croyais en train de croupir dans une oubliette sans téléphone et en train de te faire lobotomiser, ma chérie !
- Ouais, moi aussi ça va ! Merci de t’enquérir de ma santé !
- Choupinette, je m’inquiète toujours de ta santé !
- Tu oublies choupinette ! C’est quoi ce surnom débile ! J’aurais juste besoin de quelques affaires ! Si tu veux bien avoir la gentillesse de me les apporter ! 45 sushis, 44 bières, 4 paquets de chips et 48 cartouches de clopes ! Le plus rapidement serais le mieux ! Je vais mourir de faim à ce train là !
- Ok, pupuce ! T’excite pas comme ça ! J’arrive au plus vite avec tout ça, si tu tiens le coup et à mon arrivée tu me feras un gros smack sur la joue avec un « merci tonton Nohae que j’adore plus que tout au monde » !
- Mais bien sur ! A trop changer les couches de tes gamins, tu te gagatises ! Au fait…, l’interrompit Yué juste avant qu’il ne raccroche.
- Oui, ma poule ?
- Kenji…
- Quoi, Kenji ?
- Kenji Asai ! Depuis quand il a un fils ?
- Un fils ?, répondit Nohae en éclatant de rire. Ben depuis jamais ! D’où t’es venu une idée pareille ?
- De nulle part ! Disons que j’ai fait quelques rencontres. Alors, il n’a pas de fils ?
- Non, et ça je peux te l’affirmer ! Y a pas plus gay que lui !
- Hum ! Alors tu peux me dire qui est Enoa ?
- Enoa ? Je vois pas de qui tu parles !, dit Nohae en réfléchissant.
- Enoa Asai ! Ca ne te dit rien ? Il porte le même nom que Kenji et il le connaît ! Alors qui est ce ?
- Ah !, s’exclama Nohae après une courte pause, comme s’il venait de se souvenir de quelque chose d’important. Yué ! Tu ne devrais pas te mêler de ça ! Jusqu’ici tu t’en foutais pas mal de la vie de Kenji alors continue sur cette voie là ! Si tu veux un conseil, t’approche pas trop de ce gosse si tu veux pas avoir d’ennui ! Je t’apporte tes offrandes et on en reparle !

                Ils raccrochèrent simultanément sans prendre la peine de souhaiter un « porte-toi bien ! » bien poli. Yué n’en avait cure de ces obséquiosités exagérées et continua de fumer tranquillement en s’approchant des grilles de la bordure du toit. De cette hauteur, il dominait tout l’établissement, aucune entrée ni aucune sortie n’échappait à sa vigilante surveillance et cette solitude volontaire au dessus de l’agitation des gens lui apportait un apaisement incroyable, comme si autour de lui, le monde n’existait plus et avec le vent qui l’enveloppait, toutes ses mauvaises actions étaient lavées et emportées vers les hauteurs, au plus loin de lui et de son quotidien. C’est dans ce calme et cette sérénité qu’il se permit d’imaginer la matinée que devait être en train de vivre Enoa, le petit gamin apeuré, seul dans son coin, assis à sagement à sa place dans la salle de classe.

                De son côté, Enoa, peu rassuré à son arrivée, avait suivit lui aussi son guide à travers les dédales des couloirs où il avait soigneusement évité de jeter des regards autour de lui. Cette désagréable sensation de ne pas être à sa place le tenaillait, étant donné qu’avec Yué, il était le seul à ne pas porter d’uniforme et cela même si sa veste cachait encore ses vêtements à sangles et ses chaînes. Il s’en voulut de n’avoir pas parlé avec les autres jeunes du centre qui devaient porter leur uniforme sous leur blouson et qui ne lui avait rien dit, même monsieur le curieux alias Yué ne s’était pas donné la peine de se renseigner. Il prit une profonde inspiration et entendit tout juste que sa place serait celle près de la fenêtre, ce qui lui fit pousser un léger soupir de soulagement car ses plus grandes craintes étaient soit de se retrouver au premier rang, soit de se retrouver au milieu de la classe. Il déposa donc sa besace sur le petit bureau et s’installa tranquillement sans prêter attention au gars qui désirait savoir s’il avait des questions à poser. Devant son mutisme, celui-ci l’abandonna en pestant contre son manque de civisme et son inadaptation sociale.

                Il était encore tôt dans cette matinée brumeuse et Enoa s’ennuyait déjà quand un groupe de quatre filles entrèrent dans la salle de cours, outrageusement maquillée, la face tartinée de mascara et d’eye-liner noir comme des catcheuses qui viennent de se vautrer dans la boue. Visiblement, ces filles aussi se prenaient pour des racailles au penchant pseudo gothique suicidaire et regardait tout le monde de haut, pouffant bêtement bien fort. Enoa ne tournait pas la tête vers ces pimbêches et continuait de regarder dehors, préoccupé par autre chose que par des pussycat mal déguisées. A son grand désespoir, l’une d’elle s’approcha de lui, l’air dédaigneux et les bras croisés, elle relevait le menton en signe de supériorité en s’approchant d’Enoa.

- Dis donc, le nouveau, commença-t-elle orgueilleusement. C’est quoi ton nom ?
- MMmmmm..., fut la simple réponse d’Enoa qui ne souhaitait pas engager la conversation.
- Ton nom et ton âge ! Tu veux te la jouer solitaire ou quoi ?
- Que tu dis?....., continua vaguement Enoa sans la regarder.

            Elle se hasarda à le saisir par le col en une ultime tentative pour lui faire forte impression. Cependant, Enoa n’était nullement du genre à se laisser intimider par une fille et il lui attrapa vivement le poignet en posant enfin ses yeux sur elle. Dans ses rêveries, il n’avait même pas entendu ce qu’elle lui avait demandé et il aperçut les trois cruches derrières qui se croyaient dans un mauvais remake de matrix. Enoa se retint de pouffer de rire à son tour devant ce spectacle navrant et s’adressa à la fille qu’il venait d’allonger sur son bureau.

- Tu serais pas un peu maso, toi. En tout cas, content que ça t'as plu. Si je peux encore te servir à autres choses, dis le moi !
- Fais pas ton malin parce que je t’ai laissé me battre ! Si tu me frappes, tu vas te faire mal voir par tout le monde dans l’école ! Je te demandais juste ton ASV ! Age ! Sexe ! Ville ! Et ton prénom !
- T'es pas dur à battre ! T'es une fille!!!, renchérit Enoa qui ne comprenait pas grand-chose à son discours en particuliers concernant le sexe. Pour le reste, il imaginait que cela devait couler de source, avec un peu de logique, elle devait trouver la réponse toute seule. Et toi ? C'est quoi ton nom ? Moi, c'est Enoa ! Mon âge, ben le même que le tiens !

La jeune fille lança un regard désespéré à ses copines qui n’osaient pas bouger pour venir l’aider. Ses poignets solidement retenu par Enoa, elle se mit à se tortiller dans tous les sens pour se soustraire à lui, efforts qui s’avérèrent vains. Enoa la détaillait avec sa petite moue boudeuse qui lui venait toujours naturellement et pencha un peu la tête sur le côté, se demandant toujours à quoi elle faisait allusion quand elle parlait sexe. Étant donné que cela ne servait à rien de se débattre, elle finit par abandonner et lui fit un sourire, pas très sexy mais un sourire quand même.

- Je m’excuse de t’avoir dérangé, macho man ! Que puis-je faire pour me faire pardonner ?
- Ben pour la peine, tu dois te rattraper ! Ou tu me laisses te câliner le chaton ! Ou tu me roules une pelle ! A toi de choisir ! Je suis pas macho, j'chuis un mec !

                Sans se soucier du code éthique, il approcha son visage du sien et posta ses lèvres très près des siennes, les effleurant à peine et attendit une réaction de sa part.

- Alors, fais-toi pardonner de m'avoir dérangé, chère petite !

                La fille dont il ne connaissait même pas le nom s’exécuta rapidement, l’embrassant à l’expéditive pour se débarrasser de sa nouvelle besogne. Par la même occasion, elle badigeonna sa bouche de rouge à lèvres noir, laissant aussi des traces autour de la bouche du gamin.

- Alors, ca te va, l’obsédé ?

                Enoa fit mine de réfléchir, comprenant parfaitement qu’elle cherchait à le faire passer pour le plouc de service et prit la même expression dédaigneuse qu’elle.

- Mmm ! C'est trop court, j'appelle pas çà un baiser, moi ! Je vais te montrer ! On dirait que t'as besoin d'un prof de langue, toi !

            Il fit pénétrer sa langue dans sa bouche et l'embrassa langoureusement tout en la caressant les courbes de son corps, s’attardant sur la poitrine déjà voluptueuse de l’adolescente. Il cajola sa langue avec la sienne, les mêlant dans un ballet sensuel où Enoa sentit le corps de la jeune fille frémir soudainement de plaisir sous lui. Il en profita donc pour quitter ses lèvres et fit descendre ses baisers dans le creux de son cou avant de s’arrêter net et de se redresser en la dévisageant effrontément.

- Alors, tu as retenu la leçon, petite ? J'espère que cette leçon de langue t'as plu parce que si t'as pas compris, y en auras pas d’autre ! Et pour toi, cette fois, c'est gratuit ! D'habitude, je facture !
- Franchement ! J’ai rien vu ! T’es sûr que c’est ça embrassé ?
- Je me disais bien...Toi, vraiment, t'aurais besoin de cours de langue plus approfondis parce que vu comment que tu m'as embrassé, je peux pas appeler çà génial !
- Quoi ?, s’écria la fille qui n’en croyait pas ses oreilles et qui le mitraillait avec ses yeux. Pour bien embrasser, d’abord, il faudrait éprouver de forts sentiments, donner une preuve d’amour, ce qui n’est pas ton cas et pour ma part, il me faudrait faire de gros efforts pour vouloir te satisfaire !
- C'est quoi ce regard ? Et puis je comprends pas de quoi tu veux parler avec tes pseudos sentiments à la noix ! Tu me fatigues encore plus ! Je te demande pas de faire des efforts, c'est juste du sexe ! Efforts ? Tu veux dire que t'es impuissante?, lui dit Enoa, incrédule. Que veux tu que je te dise ? C'est moi qui mènerais la danse ?

                Puis, tout d’un coup, Enoa éclata de rire, un rire sarcastique qui laissa les quatre filles toutes confuses et désorientée, ne sachant plus trop quoi lui répondre et comprenant parfaitement qu’elles venaient de se faire prendre à leur propre jeu. Elles se concertèrent sans succès du regard quant à la conduite à suivre et sentaient profondément vexées par l’attitude du petit nouveau.

- J'ai encore jamais entendu une telle absurdité. Un zizi dans une foufoune, je vois pas en quoi c'est une preuve d'amour!!, continuait Enoa sans s’arrêter de rigoler. Vraiment, tu es bizarre mais c'est tellement drôle ! Hahahahahaha ! Hahahahaha ! Arrête ! Tu veux appeler ça comment ? Hahahaha ! Je me fous pas de toi mais t'es si drôle ! Finalement, je crois que je t'aime bien !

Au final, Enoa parvint à peu près à se calmer et lui tapota la joue en la libérant, se réjouissant de la voir aller rejoindre ses copines comme une dinde qu’on vient de maltraiter et qui a besoin d’aller glousser parmi ses congénères pour se sentir mieux. Pour ne pas la fâcher, Enoa lui fit un sourire enjôleur et câlin.

- Tu m'as bien fait rire ! Fais pas cette tête, c'est pas tout les jours que j'ai l'occasion de rire comme çà !

                Occupé à jouer le professeur de langue, le petit Enoa ne s’était pas aperçut de la foule d’élèves qui venaient d’entrer en cours, agroupé devant l’entrée et le regardant avec de petits yeux, tous effrayés de voir cette espèce d’énergumènes, habillé bizarrement, qui allongeait une de leur camarade de classe sur son bureau pour lui rouler une pelle et la peloter tranquillement. Enoa s'appuya contre le mur et leur sourit sournoisement car à présent, il ne pouvait plus rien faire de plus pour se rattraper et tanpis si il passait pour le pervers du coin, en particuliers avec monsieur le professeur qui en avait perdu sa sacoche.

- Mais que faites-vous, jeune homme ? Et dans ma salle de cours, en plus !
- Moi ?, s’étonna innocemment Enoa. Mais je donne des cours de langue en bénévole à des apprenties loveuse !
- Mais enfin, une classe et des camarades de classe, c’est fait pour promouvoir l’esprit de groupe et de partage. Cela n’a jamais inclut le sexe et je suis profondément choqué et dégouté par votre attitude. C’est votre premier jour et le cours n’a même pas commencé que déjà vous….vous….
- Bah je les aide à avoir du plaisir ! Si c'est pas du partage çà ! Le sexe, ça évacue la tristesse, les malheurs et les soucis aussi ! T'es marrant, toi ! C’était pas désagréable, surenchérit hautainement la fille, cachée parmi ses amies.
- Alors t'aime ça, toi finalement ? Bah pour 500 euros, je te fais la totale si tu veux ?
- Ca suffit, tempêta le professeur. Assez parler de ces vices corporels, pour ce genre de chose, il s’agit d’amour et de sentiment et non pas de débauche dans les lieux publics….
- C'est des choses de la vie!!, l’interrompit Enoa. Je vais pas me donner gratuitement non plus ! Tu me fais chier avec tes sentiments et ton amour à deux balles ! Et puis quoi encore, si il faut raison maintenant pour emballer une nana ou un pélot, c'est pas gagné ! Pffff ! T'es balourd !
- Tu nous cherche là ! Depuis quand on demande de l’argent pour ce genre de chose ?

            Ces dernières paroles furent lancées à Enoa par un grand garçon de taille plutôt athlétique, aux cheveux clairs et aux yeux bleu-gris malgré son aspect asiatique, bref, un décoloré quoi ! Il portait lui aussi un bel uniforme et dégageait une certaine prestance, un certain charisme tout en tenant tête à Enoa alors que le reste de la classe paraissait déjà le craindre, le professeur y compris. Enoa lui lança un regard noir et soutint son regard sans se trouver déstabilisé.

- C'est toi qui me cherches. En plus, j'étais occupé avec la racaille derrière toi alors je te prie de nous laisser tranquilles entre adultes consentants ! On en était où déjà?, continua Enoa en s’adressant à la donzelle. Il a fini, il s'en allait ! Je crois qu'on en était au ballet lingual, pupuce ! Puisqu'il veut que tu payes pas alors c'est cadeau pour cette fois !
- Tu me dégoutes, lui lança le gars. Tu me donnes vraiment envie de gerber ! Je m’en vais chercher monsieur le directeur qu’on puisse avoir cours tranquillement.
- Ouais, casses toi ! On était en plein cours sur la vie active alors laisse nous ! En plus, t'es ni mon père, ni mon frère, ni même mon mec alors dégage ! Tu me gonfles à me faire la morale !
- Et heureusement pour moi, répondit le grand garçon en revenant sur ses pas. Tu viens la faire chier et…
- Je l'ai pas fait chier comme tu dis ! C'est elle qui est venu me voir alors que je rêvassais !
- Mais ça m’a pas dérangé, je vous dis, ajouta l’adolescente qui se croyait intéressante et, à cette phrase, cela lui valut des regards noirs de toutes parts, même de la part d’Enoa.
- Ce que t'es bizarre toi aussi!, se moqua Enoa. Tu aimes que je te frappe et ça te déranges pas que je te saute ! T'es une fille facile ou quoi ?
- Qu’est ce que t’en sais, s’écria-t-elle, faussement excédée. Je voulais pas, tu m’as forcé…
- Pffff ! Les filles, c'est vraiment très compliqués ! Il te suffisait juste de dire que t'as pas envie ou que ça te plaît pas ! Pour ma part, rien ne me déranges !

                Enoa reprit possession de son cher sac tombé au sol quand il avait étalé la gothique lolita sur sa table et fouilla dedans pour en sortir une cigarette. Il s’assit avec nonchalance sur le bureau, présentant à la foule de spectateurs un sourire très provocateur car il savait pertinemment que cela était interdit. Il l’alluma tranquillement en prenant tout son temps qu’ils puissent admirer son geste, se délectant des expressions d’effarements dans les dizaines de paires de yeux de toute la petite communauté lycéenne ici présente et rejeta la tête en arrière en soufflant la fumée de sa clope, gardant toujours le même sourire narquois aux lèvres. Bien évidement, Enoa appréhendait de façon raisonnée l’impression qu’il venait de donner pour tout l’établissement, et que désormais cette réputation de mauvaise graine ne le lâcherait pas jusqu’à ce qu’il quitte cette école, c'est-à-dire dans très peu de temps d’après lui. En effet, ici, dans cette classe, deux mondes totalement différents venaient d’entrer en collision ! D’un côté, il y avait le petit Enoa, seul avec sa cigarette, tenant en respect toute la classe avec son attitude narquoise et sa mauvaise éducation urbaine. De l’autre, il y avait le professeur et toute cette ribambelle de jeunes novice éduqués par des parents au sein d’une société dite structurée et cultivée. Entre eux, au sens physique ainsi qu’au sens figuré, un large gouffre espaçait la distance entre eux, les séparant comme une énorme plaie béante qui s’ouvrait et sur laquelle cette situation incongrue mettait le doigt. Dans le silence pesant qui régnait désormais dans la pièce, l’odeur du tabac appesantissait davantage encore cette atmosphère pénible où, hormis Enoa, chacun ressentait un certain embarras. Le gamin décida de rompre le silence, sachant que désormais, quoiqu’il fasse, il resterait quelqu’un qui n’a pas sa place parmi les bien-éduqués.

-  Tout de suite les grandes phrases ! Et les grands mots par la même occasion ! Me faites tous chier avec l’amour ! Mais c'est que du cul, ma parole ! Rhalalala ! Qu'est-ce que j'ai du mal à vous comprendre !

                Là n’était pas le problème et Enoa le comprenait parfaitement. Il savait que son attitude ne pouvait être adéquate et que cette fois, il allait trop loin. Cependant, il ne voulait pas l’admettre et au point où il en était autant en finir rapidement, le seuil de non retour avait été franchit depuis un petit moment. Ainsi, une fois renvoyé définitivement, Enoa espérait ne plus à faire les efforts nécessaires pour se tenir correctement selon les critères extérieurs. Sans les quitter des yeux, Enoa écrasa sa cigarette sur la table et jeta son mégot au sol. Ce geste fut de trop pour le grand garçon qui vint le prendre par le col pour le secouer avant de le jeter vers la sortie.

- Tu quittes le cours !
- Ouf ! Enfin la paix !
- Ne compte pas la dessus ! Je t’emmène à l’administration voir le directeur du lycée ! Je me présente ! Shoji Iwasaki, délégué de ta classe !

                Enoa poussa un soupir en fendant la petite foule agglutinée à la porte de la salle de cours car effectivement, il ne pensait pas tomber si rapidement sur un représentant de l’ordre de cette stature. Malgré ses réticences, Enoa se conduisit en garçon docile et suivit Shoji jusqu’au bureau du dit directeur en se disant qu’il rencontrait beaucoup de directeur en ce moment et qu’à force, il finirait par se croire important. Le secteur administratif du lycée jurait totalement avec ce que le petit Enoa avait vu du centre. Ici, tout était neuf, lumineux, frais et sentait bon ! Il put même apprécier de fouler à ses pieds une moquette propre et esquissa un léger sourire car cette ambiance qui l’environnait, lui apportait un immense sentiment de plénitude perturbé par Shoji qui frappait à la porte. Enoa remarqua sur celle-ci l’absence de l’annotation « directeur » et commença à sérieusement s’inquiéter quand au genre de personne qui se tenait derrière ce mur. Malgré lui, dès qu’il entendit le mot « Entrez ! » prononcé d’une voix autoritaire, son sang se glaça et il resta figé sur place, se contentant de jeter un coup d’œil derrière le dos du délégué avant de le suivre en se recomposant une posture sûr de lui.

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