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Chapitre 2 - Suspicion - Partie 3

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« Tu ne pouvais pas savoir…. »

                Loin de tout ce brouhaha et ignorant totalement tout de la scène qui se déroulait quelques étages plus bas, Yué venait de terminer son paquet de cigarettes et le jetait par-dessus le grillage, toujours perdu dans les méandres de sa débordante imagination à propos de la matinée du môme, fantaisie pourtant bien loin de la réalité. En réalité, son obsession actuelle pour Enoa le contrariait à plus forte raison qu’il ne comprenait pas pourquoi cette saleté de vermine capricieuse venait malgré lui polluer ses pensées alors qu’il tentait vainement de mettre dans l’ordre dans son esprit. Il appuya son front sur le grillage pour regarder les minuscules silhouettes qui se mouvaient à ses pieds. Il pouvait voir les jeunes lycéens qui débutaient leur journée par un footing, des retardataires qui courraient vers l’entrée du bâtiment et…..un Enoa accompagné qui se dirigeait vers un autre édifice.

« Mais qu’est ce qu’il a encore fichu ? », pensa Yué en poussant un gros soupir. 

                Décidément, avec un tel gamin dans les pattes, Yué prenait le risque de se retrouver avec les cheveux blancs avant l’âge prévu à cet effet et il était vrai que depuis la veille le petit l’épuisait déjà, lui, l’invincible Yué, super champion de street-fighting, de drift et de free-ride. Il avait donc suffit qu’un sale mioche, débarqué de nulle part, portant un nom emprunté à un des plus grands leaders du milieu, jouait au petit caïd, un maniaque et un claustrophobe, ce gamin prétentieux était parvenu à le mettre K.O. en moins de vingt quatre heures. Il y avait de quoi mettre la rage au plus fier des hommes, en particuliers, ceux de la trempe de Yué. Cependant, il n’en fut pas ainsi ! Aussi curieux que cela lui paraissait, Yué souriait, en le suivant du regard, pour le voir pénétrer dans l’immeuble. Pourquoi se sentait- il ainsi inexplicablement attiré vers ce bébé peureux et pleurnichard ? Pour le jeune homme, il s’agissait avant tout de curiosité, son plus vilain défaut. En toute connaissance de cause, Yué, dès l’instant où le petit Asai lui avait révélé son nom, avait parfaitement compris sur quelles plates- bandes il allait mettre les pieds. La voix de la raison lui soufflait tendrement au cœur de détourner son attention du maudit bébé et de suivre le bon conseil de Nohae mais son tempérament fougueux lui dictait justement de prendre le chemin inverse. Yué voyait là une merveilleuse occasion de défier un géant qui lui faisait de l’ombre et le provoquer l’installerait parmi les chefs les plus respectés. Si toutefois tout se passait bien, Enoa étant une bonne carte à jouer.

                Kenji Asai était l’homme le plus craint après son propre père et la raison première de cette crainte cachée par une sorte de respect excessivement obséquieuse de la part de tous les gangs envers cet homme était évidement sa folie sans limite, car il marquait ses actes de barbarie par une cruauté sans borne. Étant plus jeune, Yué avait lui aussi craint cet homme, mais pour parvenir au sommet, il voulait l’affronter sans le provoquer de front, sans prendre de risque inutile. Enoa, sous l’aile de cet homme, se plaçait dans une situation par laquelle il ne risquait pas de craindre pour son avenir ni d’être accabler par un quelconque rival. Asahi, le fameux médecin député du comté, avait lui aussi trouvé son compte en devenant un ami particulièrement fiable pour ce Kenji. Le cœur de Yué palpitait dans sa poitrine rien qu’à l’idée de prendre la place de Kenji un jour malgré son appréhension à lui tenir tête. Il ne sentait pas encore suffisamment fort pour le provoquer en duel de façon quasiment délibéré et cependant, sa ferveur conquérante le poussait instinctivement à souvent se mettre en confrontation avec celui-ci. Nohae le traitait à chaque fois de fou écervelé car Kenji était un homme violent dont le poing partait avant même de réfléchir et de comprendre ce qui se passait. Lorsqu’il était dans un état normal, c'est-à-dire calme et serein comme toute personne l’est quand la situation est plutôt routinière, il faisait le même effet qu’un Mike Tyson en plein pétage de plomb sévère aggravé d’une prise d’alcool et d’amphétamines. Tout cela pour dire que si le zen provoquait cet effet sur cet homme, son état « Attention ! Je suis très, très, très en colère ! » multipliait par des millièmes l’effet Mike Tyson cité plus haut.

                Une silhouette connue et familière à Yué fit alors son apparition non loin du portail du lycée, avançant nonchalamment au milieu d’un troupeau de lycéennes qui lui parlaient de façon énergique à grand renfort de gestuelles. C’était un homme de type afro- américain, de haute stature et athlétique, arborant de magnifiques rasta qui lui couvraient les épaules et offrant un magnifique sourire Aquafresh, Colgate n’étant pas sa marque préféré. Du haut de son perchoir, Yué n’eut aucun mal à reconnaitre le tombeur de Nohae car, d’après celui-ci, le pouvoir de séduction était la meilleure arme crée par l’homme et il s’avérait que grâce à son succès auprès de la gente féminine, Nohae parvenait toujours à savoir ou à avoir tout ce qu’il désirait. Yué appréciait considérablement cette facilité avec la quelle Nohae pouvait aborder les gens, les mettre en confiance et cela dès le premier contact. Cette caractéristique particulière de la personnalité de Nohae était une qualité que Yué aurait peut-être apprécié posséder mais il y voyait principalement une faille par laquelle n’importe qui avait la possibilité de l’atteindre. Les sentiments ! La pire des faiblesses dans ce bas monde et aussi la plus importante de toute ! Par ce biais, tous les plus grands hommes étaient tombés et tous les plus grands empires y avaient trouvé leur chute. Cet homme à la peau cuivrée, qui n’était asiatique que de nom, représentait la seule famille que Yué connaissait et aussi, le seul être sur terre à laquelle il pouvait tenir comme à la prunelle de ses yeux. Nohae pénétra dans le bâtiment au sommet duquel Yué surveillait les alentours et quitta son champ de vision pour venir rejoindre cette tête de mule extra ambitieuse. A cette pensée à propos de la prunelle de ses yeux, Yué se retourna pour s’appuyer contre la grille et relever le visage vers le ciel. Il chercha vainement dans ses poches son paquet de cigarette, oubliant qu’il venait de le jeter par-dessus le toit. Oui ! Des yeux ! Il pensait aux yeux verts pailleté d’or du petit Enoa et de son regard de petit chien perdu. Et d’ailleurs, ce petit chihuahua s’avérait merveilleusement hargneux comme un pit-bull, ce qui fit pousser un soupir à Yué alors que la porte donnant accès au toit grinçait en laissant apparaitre le bel Othello.

                Yué le laissa avancer jusqu’à lui avant de prendre les devants pour venir le saluer, le prenant dans ses bras pour lui donner une bonne tape amicale. Yué s’imaginait sans cesse que Nohae ne pouvait pas être le fils dudit Karazawa puisqu’il n’avait, dans son physique, aucune trace de japonisation. Depuis toujours, il avait gardé ces réflexions pour lui-même mais gardait au fond de son cœur cet opinion selon laquelle, un jour, obtenir cette information lui serait vitale tant à lui-même qu’à Nohae. Sentir sa poigne fraternel contre lui le rassurait puisque malgré lui, il avait finit par se sentir un peu égaré, en particuliers dans le milieu scolaire dans le lequel il devait évoluer.

- Yué, toujours haut perché quand il a l’esprit en mouvement !, s’exclama Nohae en le saluant. Putain ! Tu m’en fais monter des étages ! Tiens ! Je t’ai amené quelques jouets, histoire de t’occuper un peu dans tes heures perdues !

                Mêlant le geste à la parole, il tendit à Yué un téléphone portable à écran tactile, un taser, un trousseau de clé et un beretta 92 que celui-ci reçut avec un certain soulagement car ayant été dépouillé de ses biens après son arrestation, il se retrouvait sans moyen de défense en dehors de ses poings.

- J’ai l’impression de ressusciter là ! Vraiment ! Nohae, t’es un frère!
- Ressusciter !, répondit Nohae avec un demi sourire. Tu y vas un peu fort là ! Ca fait seulement une semaine que tu as été mis en détention. En parlant de ça, tout le monde te croit déjà en train de croupir en taule pour quelques années. Certains jouent déjà au dé le partage de ton territoire, en particuliers Asahi. Il devait être bien pressé de se débarrasser de toi. Si tu n’avais pas Moonlight pour te protéger, il aurait pas hésité à te foutre une balle en pleine tête pour être sûr de pas te rater ! Mais t’as la tête tellement dur que je suis certain que t’aurais survécu !
- Asahi ! Humm ! Ce gars, je t’assure, il va s’excuser le front bien bas devant moi ! , fit Yué avec un profond mépris. Avec ou sans Moonlight, je vais lui montrer à ce bouseux qu’on peut pas se foutre de moi en toute impunité. Tiens ! A ce propos, viens voir un peu par là, je vais te présenter quelqu’un !

                Il lui fit signe de s’avancer puis de porter son attention vers l’immeuble administratif d’où sortait Enoa, accompagné de deux autres personnes. Au vue de la situation dans laquelle se trouvait le petit branleur, on ne pouvait que constater le degré de la bévue qu’il avait dû commettre alors que les cours commençaient à peine. Parmi ceux qui accompagnait le marmot, l’un portait un uniforme de lycéen et il se détacha rapidement du petit groupe pour entrer dans le bâtiment où se trouvait Yué, certainement pour rejoindre sa salle de classe. L’autre portait un costume plutôt bien coupé et accompagnait Enoa jusqu’à la grille de l’école en marchant tranquillement à côté de lui. Sa démarche calme et posé démontrait qu’il s’agissait certainement soit du proviseur, soit de son adjoint mais à sa façon d’agir, il ne semblait nullement fâché contre Enoa. Il échangea encore quelques mots avec le gamin avant de repartir, apparemment rassuré par ce que venait de lui dire Enoa.

- Yué ! Si tu veux me parler de lui, je sais déjà de qui il s’agit !
- Toi, tu le sais ! Mais pas moi !, rétorqua Yué. Et ça, ça m’agace ! Je suis la dernière roue du carrosse ou quoi ? Comment ça se fait que tout le monde à l’air de savoir de qui il s’agit sauf moi ? Je dois pourtant partager ma piaule avec lui !
- Parce que jusqu’à maintenant tu t’en foutais royalement ! Yué, laisses moi te dire qu’Enoa est….
- Ta gueule !, coupa Yué. Finalement, vu comment tu me le dis, je vais m’amuser à le découvrir par moi-même. J’ai tout mon temps pour ça et un peu de distraction ne me fera pas de mal ! Et pour être franc avec toi, je ne suis pas en prison mais dans un centre de réhabilitation de mineurs en difficulté ou un truc du genre !

                Cette réflexion fit encore une fois soupirer le pauvre Nohae qui lui aurait bien botté les fesses pour lui donner un peu de lucidité. Mais ce genre de discipline n’avait aucun impact sur Yué et il se contenta de regarder à nouveau le petit Enoa qui fumait devant le lycée, ce qui lui donna aussi la bonne idée de s’en griller une. Yué, en le voyant faire, se rappela qu’il n’en avait plus sur lui et la lui enleva des mains pour fumer à son tour, le narguant d’un petit sourire facétieux. Nohae s’apprêtait à protester et resta bouche bée car la voiture de Kenji venait de s’arrêter juste devant le petit Enoa. Devant la perplexité de son ami, Yué porta aussi son regard vers le gamin et resta tout aussi pantois que Nohae. Kenji, le colosse, sortait de la voiture et se dirigeait d’un pas lourd vers le gamin qui se précipitait dans ses bras, comme s’il lui avait rudement manqué et, à cause de sa petite taille comparé à celle de Kenji, il y disparut pendant un instant. Kenji le gardait machinalement dans ses bras mais sans aucune émotion. Il aurait aussi pu serrer dans ses bras une poupée de bois, cela aurait eu le même effet. D’ailleurs, il repoussa rapidement Enoa sans grande douceur et le poussa comme un chien vers la voiture en lui donnant un ordre encore moins doux que ses gestes. Le gamin semblait pourtant accepter de se faire traiter de la sorte car il lui obéissait sans broncher et ne donnait aucun signe permettant de démontrer que l’attitude de Kenji le contrariait. Il monta dans la voiture à coté du molosse et, durant un laps de temps qui parut interminable à Yué, le véhicule se mit en mouvement avant de disparaitre au coin de la rue.

- Ben, ça alors !, fit Nohae en s’allumant une cigarette. C’est la première fois que je vois Kenji être aussi tendre et attentionné.
- Moi, ce qui m’intrigue, c’est pourquoi c’est lui qui vient chercher le gamin !
- Pour les mômes, y a que les parents ou les tuteurs légaux qui ont le droit devenir les prendre ! Je suppose que Kenji est son tuteur !
- Ou son père !
- Impossible !, réfuta Nohae en rigolant. Mais alors totalement impossible ! Arrête de te prendre la tête pour lui et expliques moi plutôt comment t’as réussi à négocier un séjour dans un truc pour ado et pas en prison.

                Cette fois, ce fut au tour de Yué de rigoler. Effectivement, il n’avait pas donné d’explication à Nohae concernant les évènements qu’il venait de vivre et celui-ci n’en connaissait que les grandes lignes fortement déformés par un Asahi triomphant.

- C’est simple ! En fait, j’ai eu affaire à un inspecteur zélé qui veut absolument coincer Moonlight ! Un policier a remarqué ce tatouage à mon poignet et lui as transmis l’information. Du coup, il a volé depuis son bureau jusqu’à moi et il a cherché tout les moyens de m’intimider. Comme il a vu que je ne savais rien tellement je suis con, il a proposé un marché. Que je sois en liberté dans ce centre et en échange, je leur livre des informations sur Moonlight !, lui expliqua Yué avec un demi-sourire. Et là, je sais quel nom je vais leur donner à manger ! Asahi a envoyé son cafteur au centre, il risque pas de me foutre des bâtons dans les roues !

- Alors, monsieur est une taupe maintenant ! Fais gaffe ! Je pourrais presque y croire quand tu dis ce genre de conneries !

« Tu ne pouvais pas deviner… »

                Ils rirent ensembles de bon cœur comme un calme éphémère qui annonçait une violente tempête dans les jours à venir. Ce jour là, le ciel était gris pour tout le monde et là haut, loin du brouhaha et des tracas du quotidien, le vent soufflait doucement, enveloppant dans ses entrailles, les corps des jeunes hommes qui vivaient leurs derniers instants de paix et de complicité. La sérénité du lieu fut bientôt troublée par la sonnerie retentissante de la fin des cours et un joyeux tapage de lycéens enfin libérés pour quelques minutes parvinrent jusqu’à Yué et Nohae, rappelant au nouveau surveillant que les tâches qui lui incombait l’attendaient toujours avec impatience.

                Enoa se fit déposer devant le centre par un Kenji passablement énervé qui ne lui adressa pas une seule fois la parole durant tout le trajet. Devant ce manque d’enthousiasme, il se fit le plus petit possible sur le siège passager, n’osant lever son regard ni sur le conducteur ni sur le monde extérieur. La vitre qu’il avait légèrement baissé avait été immédiatement refermé par Kenji, aussi, le bébé ne fit pas de polémique et gardait son calme en se faisant violence, c'est-à-dire en gardant ses yeux rivés sur ses chaussures. Une claque violente sur la tête lui apprit qu’il venait d’arriver à bon port et Enoa détacha en vitesse sa ceinture pour quitter le véhicule quand Kenji lui attrapa le poignet. Sa main immense paraissait englober tout l’avant bras du petit bébé dont l’expression du visage s’assombrit tout d’un coup. Il baissa les yeux et la tête en signe de soumission en attendant le verdict du géant, verdict qui ne tomba finalement pas. Kenji se contenta de rejeter sa main comme d’un vulgaire préservatif usagé et lui fit signe de la tête de déguerpir avant qu’il ne change d’avis. Le petit ne se fit pas prier davantage, serrant son précieux sac contre lui, il s’extirpa rapidement de la voiture et se précipita sans se retourner dans l’enceinte de l’établissement. Les crissements de pneu qui se firent entendre derrière lui, lui indiquèrent que Kenji, probablement plus qu’énervé, venait de partir. Cependant, nullement rassuré pour autant, Enoa tremblait de tout son corps, ses jambes se dérobaient sous lui et il ne se sentait pas la force de continuer plus loin. Il sentit les larmes lui monter aux yeux et baissa la tête en se mordant très fortement la lèvre pour ne pas se laisser aller. Le silence alentour et la fraîcheur de l’air lui prêtèrent main forte pour l’aider à se calmer, puis, à nouveau un peu plus sûr de lui, Enoa avança jusqu’à l’entrée.

                Monsieur Fernandez venait justement de rentrer et se tenait dans le hall, sa veste encore sur les épaules et un attaché-case à la main. Alors qu’Enoa ouvrait le plus doucement possible la porte d’entrée, le téléphone du directeur se mit à sonner, faisant sursauter le pauvre petit cœur apeuré du bébé. La conversation du directeur se résumait uniquement à quelques mots de consentement mais cela suffit amplement à tétaniser le petit sur place à tel point qu’il n’osait plus lâcher la porte. A contre cœur, il se sentait vraiment honteux de se faire renvoyer de l’école, d’autant plus qu’il s’agissait de son premier renvoi de toute sa vie d’écolier. Il serra son sac encore plus fort comme si ce simple petit obstacle le cacherait de la vision de Fernandez. Enoa entama un pas en arrière, car en y réfléchissant bien, la meilleure des solutions à la minute actuelle était de courir se cacher quelque part jusqu’à ce que le directeur se calme. Malheureusement pour lui, le directeur fit volte-face à ce moment là et l’aperçut sur le point de décamper. Il sourit sournoisement à Enoa et lui fit un signe de négation avec son index avant de lui faire signe d’approcher. Planter sur le paillasson, Enoa n’effectua aucun mouvement, se contentant de surveiller les faits et gestes du grand manitou jusqu’à ce qu’il raccroche et qu’il vienne jusqu’à lui, le regardant de haut. Enoa déglutit difficilement en relevant son visage vers lui, attendant une sanction des plus sévères. Il relevait déjà un bras pour se protéger au cas où les coups pleuvraient comme les averses diluviennes de la mousson.

- Tu m’impressionnes vraiment, Enoa, commença Fernandez sans expression ironique particulière. C’est à peine ton tout premier jour d’école, la première heure de cours n’est même pas entamé, du moins pas quand tu étais sur place, et te voilà déjà de retour ici ! Sache quand même que tu es le seul à avoir eu la capacité de détenir un tel exploit. Qu’est ce que je vais faire de toi ?

                Il poussa un bon et gros soupir en se passant la main sur le visage puis s’arrêta au niveau de sa bouche en continuant de fixer Enoa et en secouant la tête. Visiblement, il réfléchissait à la sanction à donner mais semblait ne pas vouloir être trop sévère. Enoa attendait avec une très forte appréhension que la sentence tombe et instinctivement, il porta son sac à hauteur de ses épaules, à deux doigts de se cacher derrière pour de bon.

- Je suis désolé, balbutia-t-il timidement en jetant un petit regard tout craintif au directeur.
- Je n’en doute pas, lui répondit-il en soupirant encore une fois. Mais monsieur Desposito a demandé à ce que je sois clément avec toi ! Il pense que c’est parce que tu es encore complètement dépaysé et perdu…..Donc…Je ne vais pas être trop rigoureux pour cette fois. Mais je ne veux pas que cela se reproduise ! Compris ?
- Compris !, renchérit Enoa pas vraiment convaincu par ces paroles.
- Bien ! Alors tu vas allé rejoindre un garçon derrière le bâtiment A. Il est consigné à repeindre le mur et tu vas aller l’aider. Ca te remettra les idées en place et ça te permettra aussi de réfléchir convenablement à ce que tu as fait aujourd’hui !

                Le mot soulagement était bien trop faible pour qualifier le sentiment qui envahissait Enoa en entendant le directeur prononcer ces mots. Il hocha la tête timidement mais énergiquement et courut en direction du lieu que le directeur lui avait indiqué pour exécuter la tâche qu’il lui avait donné à faire pour sa pénitence. Seulement, à peine Enoa eut il disparut à l’angle du bâtiment qu’il cessa de courir. Il se mit à marcher tranquillement et s’arrêta, bien caché derrière un buisson pour regarder qui était la personne avec qui il devait effectuer sa corvée. Il aperçut un garçon plutôt grand, les cheveux décolorés en blond sur la pointe de sa crête fashion et portant un bleu de travail déjà bien encrassé par la peinture. De son observatoire secret, Enoa pouvait déjà sentir l’odeur envahissante de la peinture ainsi que la migraine qui allait de paire. Il n’avait pas la moindres envie de peindre et en particuliers, avec de la compagnie qu’il considérait comme indésirable. Seulement, monsieur Fernandez ne risquait pas de se montrer aussi compréhensif la fois prochaine si Enoa prenait les jambes à son cou. Il prit donc l’initiative de faire les premiers pas vers le jeune homme en question en s’allumant une cigarette pour se donner plus grande contenance. Il s’arrêta non loin du grand gaillard et le fixa en train de travailler car vraiment, ça ne lui plaisait pas du tout de devoir se coltiner ce travail avec un codétenu, enfin un autre gars inconnu du bataillon. Il garda donc le silence et continua de fumer tranquillement, totalement indifférent à la besogne qui se déroulait devant lui. Le jeune homme était à la tâche depuis déjà un bon petit moment quand il sentit cette présence dans son dos et vraisemblablement, une paire d’yeux qui devait le scruter viscéralement. Il se retourna pour savoir de qui il s’agissait et, impassible mais visiblement heureux que ce soit seulement ce petit môme sans défense, il continua de peindre tout en gardant un œil sur lui.

- Salut ! T’es nouveau ici !C’est quoi ton nom ? T’es venu me filer un coup de main ?

                Cette question mit à nouveau le gamin sur le qui-vive ! Enoa le toisa avec un regard de petit dur à qui on ne la fait pas, puis, sans lui donner de réponse et il préféra prendre le temps de finir sa clope avant de la jeter négligemment au pied du mec.

- C'est sans importance ! Et je viens pas t'aider, t'es assez grand pour finir tout seul !

                Il croisa les bras et regarda ailleurs tout en baillant afin de bien lui montrer à quel point il pouvait totalement s’en foutre de ce qui se passait tout autour de lui. C’était dérisoire d’imaginer que ce serait avec de vulgaires pots de peinture puants de nocivité qu’on parviendrait à le dompter correctement et Enoa ne comptait pas se laisser faire aussi facilement, notamment avec un grand dadet du genre ouvrier des travaux publics. Le jeune forçat qui, contrairement à l’espèce de capricieux antipathique, s’esquintait à sa besogne et haussa un sourcil avant de commencer à ricaner d'un ton légèrement plus ironique et moqueur. Effectivement, le mioche venait loger à la bonne enseigne pour trouver des embrouilles mais il ne venait pas provoquer la bonne personne, car, s’il était à la recherche de conflits, avec lui, il risquait de vraiment en trouver.

- Non, mais franchement, le nabot, tu te crois où à jouer le fier perroquet comme ça ! T’es là parce que t’as fait une connerie, alors tu me mate pas bosser la bouche en cœur ! Tu prends un pinceau et tu te mets au travail ! Tu vois, c’est pas compliqué ! Haut ! Bas ! Haut ! Bas ! T’es sûrement idiot, mais ça finira bien par rentrer !

                Le gamin sourcilla à peine devant cette remarque, aussi agréable soit elle et, bien qu’il gardait son regard fier dans le lointain et ses bras croisés, il n’avait nullement l’intention de réagir, autant physiquement que verbalement, pour marquer le peu d’impact que les menaces de ce prétentieux pouvaient avoir comme effets sur lui. Le regard de son assaillant se posa durement sur lui durant quelques instants, paraissant se faire une idée du personnage pour mieux le discipliner. Puis, d’un geste aussi simple que raisonnable, il se décida à déposer ce qu’il tenait pour s'allumer tranquillement une clope, jouant, lui aussi, à monsieur-je-m’en-fous. Il se mit à fumer calmement, sans quitter le marmot des yeux, devinant, par les brefs coups d’œil envoyé par Enoa, qu’il le mettait plus que mal à l’aise. Bien que cet examen visuel approfondi le gênait autant, le teigneux continua de camper sur ses positions sans sourciller, et, faisant croire qu’il n’était aucunement perturbé par l’insistance du décoloré, il termina sa cigarette pour l’écraser à côté du pot de peinture. Toutes ces fanfaronnades auraient fait en abandonner plus d’un, mais le tempérament du nouveau venu ne se répertoriait pas dans ce genre d’attitude trop peu combative, d’après les critères moraux du jeune homme. Puisque son compagnon de corvée en avait décidé ainsi, il opterait pour la confrontation en face à face, domaine dans lequel il excellait et auquel le jouvenceau serait dans l’obligation d’obtempérer. Il parodia Enoa dans son jeté et son écrasement de cigarette avant de reprendre possession de son seau et de son pinceau avec une tranquillité trop parfaite afin de permettre à Enoa de déterminer l’orage qui suivrait le beau temps. Beau temps qu’Enoa ne se privait d’ailleurs pas à savourer comme un prince sur son fier destrier ou plutôt comme un touriste suspendu à son hamac.

- Puisque tu le prends comme ça, nabot, on va employer les grands moyens !, menaça le blond.

                D’un geste rapide et précis, dont le but premier était de ne pas lui laisser le temps de réagir, il badigeonna de peinture blanche la joue qu’Enoa lui présentait si généreusement et, lui saisissant le poignet, lui fourra le pinceau dans la main droite. L’expression de surprise du petiot qui ne réalisait pas très bien ce qui venait de se passer accentuait encore son rire démoniaque alors que le gamin se touchait la joue pour parfaitement s’assurer qu’il ne rêvait pas. Le forçat avait osé lui tartiner la tronche et il en rigolait comme un parfait abruti, et, à sa grande insatisfaction, son agresseur enfonça encore le clou alors qu’il fronçait expressivement les sourcils en la tuant autant que possible avec son regard pas effrayant.

- Maintenant, nabot, t’as plus d’excuse ! Au boulot !
- Pour qui tu te prends?, lui cria Enoa qui, décidément, ne risquait pas de perdre sa bonne habitude de s’époumoner pour un oui ou pour un non. Et m’appelle pas nabot, abruti de décoloré !

            La remarque d’Enoa aurait très bien pu être prononcée par l’agresseur physique désormais agressé verbalement, mais le sale gamin n’en tenait pas compte puisque son seul souci actuellement était qu’il soit profondément vexé. Dans sa petite tête de teigneux, il se demandait comment il allait prendre sa revanche mais en pire sur ce gars car il était plus grand que lui et cela n’aurait été que peine perdue s’il se jetait sur lui de front. Il se contenta de serrer les poings tout en continuant de réfléchir à divers stratagèmes quand il avisa le pot de peinture ouvert, trônant aux pieds de jeune homme, et, l'empoignant à pleine main, il prit même pas la peine de le prévenir de ses intention pacifiques. De rage et plein de vengeance, Enoa lui jeta de plein fouet la peinture au visage et vida le reste sur les chaussures, tapotant un peu sur le fond pour ne rien perdre avant de jeter le pot au loin, craignant que cet arme ultime ne puisse être en retour utilisé en représailles. D’un sourire satisfait de l’homme qui fête déjà sa victoire, il le toisa du regard. Par contre, il n’avait pas compté sur le caractère explosif de son adversaire et avant même de réaliser vraiment, le gars l’avait agrippé par le bras pour le ramener contre lui.

- Tu veux jouer au plus malin c’est ça ? Rira bien qui rira le dernier, gamin !
- Me traites pas de ...

                Il n’était pas question de laisser le petit impertinent savourer gracieusement son triomphe, aussi éphémère soit elle. Aussi, le jeune homme, qui n’avait point encore eu l’occasion de se présenter correctement à Enoa, ne lui laissa pas le temps de terminer sa phrase et décida de l’empoigner à bras le corps pour lui verser la totalité des pots de peinture restants. Le sale môme se débattait comme un petit diable mais cela ne suffirait pas pour le garçon qui ne comptait pas en rester là. Œil pour œil et dent pour dent, telle était sa devise alors le petit morveux ne dérogerait pas à la règle. Et cette fois, ce fut lui qui apprécia cette victoire, se délectant de voir la peinture couler follement sur la tête et dans le cou du petit. Il le relâcha ensuite avec une légère brusquerie dans le geste, en prenant soin, par la même occasion, de donner une bonne gifle pour bien lui montrer qu’il ne fallait pas trop le chercher. Le bambin, en se libérant, venait de se vautrer au sol et, malgré le feu sur sa joue, semblait plus que énervé. Une vraie petite boule de nerf, tel un chaton qui tente d’effrayer un tigre. Et en effet, Enoa se relevait en essuyant cette maudite substance qui lui couvrait les yeux et fixait le peintre du dimanche d’un regard qui se voulait mauvais, ce qui, malgré tout, n’empêchait pas le jeune homme de continuer à ricaner, nullement effrayé par ce genre d’intimidation.

- Alors, morveux ! T’es calmé ou t’en veux encore une ?, lui dit-il avec une sérénité peu commune.
- Tu vas regretter ça!, lui lança Enoa au faîte de sa colère.

                Sans plus attendre, Enoa se jeta sur le gars, tanpis s’il partait perdant d’avance en raison de leur trop grande différence de taille, il lui envoya son poing à la figure avant de tenter un autre coup en visant dans les cotes ! Le gars, aux aguets, vit le poing d’Enoa approcher dangereusement de son visage, et, cette petite attaque physique du gamin contre lui réveilla soudainement ses réflexes. D’un geste aussi précis que rapide, le jeune homme se saisit au vol du poignet de son mini agresseur pour le faire tourner sur lui-même avant de le ramener à lui pour le plaquer, dos à lui, contre son torse. Les tentatives de coups de pieds qui suivirent ce plaquage dans les règles de l’art ne déstabilisèrent pas le jeune homme qui se contenta de lui tordre un petit peu plus ce poignet tellement menu qu’il pouvait le lui briser d’un simple geste de la main. A présent que le charmant bambin s’était instantanément adouci, si on ne comptait pas le courroux qui illuminait son regard, ils allaient, au final, réussir à entamer les présentations. Il glissa alors lentement ses doigts le long du menton d’Enoa et lui caressa tendrement la joue.

- Maintenant que t’es plus enclin au dialogue, on va pouvoir se présenter et fixer les règles ! C’est pas compliqué, tu vas voir ! N’importe quel abruti comprendrait assez vite, donc y a pas de raison que tu piges que dalle, lui dit calmement le grand délinquant décoloré à crête. Tu crois jouer au petit dur avec moi mais franchement, t’es nul à chier ! Alors tu vois, ce mur, et ben, tu vas gentiment diriger ton pinceau dessus et le tartiner de blanc où je vais sérieusement me fâcher.
- C'est toi qui est franchement nul à chier!, aboya Enoa. Tu peux bien finir ce mur tout seul ! Je suis pas ta bonniche ! Frappe moi et t'auras des problèmes ! Couille molle ! Bâtard ! Enfoiré ! Mauvais perdant ! Salopard ! Tricheur ! Profiteur ! Lâche ! Poule mouillée !

                Visiblement et auditivement, le petit n’était pas seulement excité. C’était bien pire ! Enoa n’appréciait pas du tout mais alors vraiment pas du tout, le ton employé par son agresseur qui s’amusait, à fortiori, à le rabaisser et c’était ce qui le contrariait le plus. L’inexpressivité du personnage donnait à Enoa une folle envie de lui refaire sa façade et seul moyen pour lui de faire disparaitre cette froideur de sa sale face de rat, c’était de la lui enlever de force. Moyen dont Enoa ne se priva pas en tentant un bon coup de boule en arrière. Il omit seulement de prendre en compte qu’il n’arrivait qu’aux épaules de l’autre garçon et se retrouva la tête calée contre son épaule. Il pesta encore en lui écrasant le pied et pour finir, il tira sur son bras pour se dégager. Le petit se montrait déjà déchainé pour si peu, ce qui laissait rêveur quant à ses réactions pour le reste ! Ses performances physiques n’impressionnèrent toujours pas le jeune homme, qui le tenant toujours contre, se contenta de raffermir sa poigne, laissant échapper un gémissement de douleur des lèvres d’Enoa que le petit ravala rapidement par fierté, et de le faire chuter par un balayage de côté avec le pied précédemment écrasé par les bons soins du morveux. Dès qu’Enoa toucha le sol, il le libéra, et, ignorant totalement l’humeur massacrante de son ex prisonnier, il se mit à le tartiner avec le plus gros rouleau de pinceau et de lui ébouriffer les cheveux pour le garder au sol.

- C’est que tu en as du vocabulaire pour un gosse de ton âge ! Ton papa t’a pas appris à mieux parler ? Alors ? Tu fais moins le fier maintenant ! Nabot !

                A ces mots, Enoa se mordit la lèvre et ne prononça plus un seul mot, se contentant de se protéger le visage des assauts répétés du garçon ! Il tenta vainement de lui enlever ce maudit pinceau des mains, mais, étant donné qu’il n’y avait rien à faire, afin de se soustraire définitivement à son assaillant, Enoa roula sur le côté, se plaçant hors de portée de bras ! Mais Enoa voulait quand même avoir le dernier mot face à ce grand dadet et il lui tira la langue de façon très impertinente comme ca, il ne pourrait rien lui reprocher et encore moins le traiter d’effronté ! Enoa adoptait, de façon volontaire ou pas, nul ne saurait le dire, ce comportement paradoxal qui l’amenait sans cesse à faire le contraire de ce qu’on lui demandait, et cela était entièrement prévisible, et en même temps, de par son impulsivité, de cultiver un comportement relativement emporté et agressif, le rendant donc imprévisible. Ce ne fut donc sans surprise qu’Enoa avisa un pot de peinture encore à demi plein qui n’avait pas eu la bonne idée de se trouver trop loin de lui et d’y décocher un bon coup de pied qui l'envoya valsé contre le mur où une magnifique fresque, à faire pâlir de jalousie Rembrandt lui-même, s’y étala gracieusement. Voila ! Il avait fait sa part !  Nullement touché par cette émouvante attention, son compagnon de travail se rapprocha de lui à une vitesse que le petit n’eut pas le loisir d’admirer et, avant même qu’il ait pu reprendre son souffle, il sentit un poing s’abattre sur son estomac suivi d’une gifle qui lui ramena à nouveau le visage près du sol.

- Si tu veux jouer au plus malin, tu vas devoir aller le faire ailleurs !, fit le jeune homme en tournant autour de lui. Tu pensais peut-être que tes caprices, ça marcherais avec moi ? Ben, sale môme, tu t’es trompé ! Y a pas de place pour des moustiques sans défense de ton genre, ici ! Maintenant, tu te relèves et tu te remets au boulot !
- Je t’emmerde ! Lâche-moi!!!!, lui hurla encore Enoa qui avait repris ses esprits.

        N
on loin de là, Enoa venait de remarquer que sa petite embrouille avec son nouvel ami ne passait pas inaperçu. Deux personnes les observaient avec une inquiétante attention, ceux qu’Enoa aurait préféré voir loin d’ici justement. Il s’agissait en premier lieu de monsieur Fernandez lui-même et de son acolyte, monsieur Blérot. Les regards réprobateurs des deux hommes indiquaient à Enoa qu’il se trouvait dans une posture plus que mauvaise et qu’il devait s’attendre à recevoir une sanction plus sévère que la retouche rupestre de la façade de l’établissement. Dès qu’il vit les deux hommes se mettre en mouvement et approcher dangereusement d’eux, Enoa se releva prestement pour prendre les jambes à son cou quand une main s’abattit sur son col. L’autre imbécile le retenait alors que Fernandez et Blérot se rapprochaient à grand pas, beaucoup trop vite au goût d’Enoa.
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