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Chapitre 2 - Suspicion - Partie 4

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- Merdeuuuuh!, cria Enoa en se débattant de plus bel. Lâche-moi !

                Il lâcha Enoa d’un coup en le poussant légèrement, le déséquilibrant volontairement pour le retarder. Enfin libre de ses mouvements, le gamin ne fit pas cas de la petite bousculade et s’enfuit aussitôt dans le sens opposé aux deux hommes. Il n’eut pas le loisir de partir bien loin quand il entendit la voix railleuse du garçon derrière lui.

- Vas-y, nabot, cours plus vite ! Tu vas te faire attraper !

                Enoa ne prit pas la peine de lui répondre car il voyait son salut à quelques pas de lui. Mais, surgissant soudainement devant lui, un éducateur qu’il ne connaissait pas, lui asséna un violent coup de poing dans l’estomac, le faisant tomber à genoux en se tenant le ventre pour tenter de calmer la douleur. Cet homme, bâti comme un athlète, ne chercha pas à ménager le bébé, bien au contraire, il le plaqua sauvagement au sol en lui tordant le bras derrière le dos et le fit hurler de douleur. Enoa n’avait eu aucune intention de se battre, contrairement à ce que cet homme paraissait croire. Il voulait juste ne pas se faire gronder alors que ce n’était pas de sa faute étant donné que c’était l’autre qui avait commencé. De son côté, le pseudo complice d’Enoa se trouvait aussi face à face avec le directeur et un Blérot essoufflé. Monsieur Fernandez, après avoir soutenu le regard du jeune homme, ne prit pas la peine de se soucier du sort du gamin à terre et il donna froidement un ordre aux éducateurs.

- Foutez-les au trou pour deux jours !

                A ces mots, celui qui maintenait Enoa au sol se décida enfin à le relâcher et le petit, en se frottant son bras endolori, se mit à écarquiller les yeux, ne sachant pas de quoi il retournait quand le directeur parlait de trou. Il continua de se masser lentement le bras en se relevant et cette ignorance non dissimulé par le bébé innocent fit apparaître un sourire amusé chez Fernandez. Il se tourna ensuite vers le copain de jeu d’Enoa et se montra plus courroucé envers celui-ci, peut-être parce qu’il était plus grand et paraissait plus âgé que le gamin.

- Je venais vérifier si le travail était fait mais je vois que vous préférez vous battre ! Tu en étais responsable, Ange ! Tu vas pouvoir avoir tout le temps que tu veux pour faire connaissance avec lui !
Profite en bien surtout !
- Je ne me battais pas, lui répondit posément Ange en croisant les bras. Le petit avait besoin d’apprendre à manier le pinceau et aussi, quelques règles de base en matière de respect et de bonne éducation.

« Que derrière cette façade… »

                Fernandez n’en avait que faire des excuses que ce jeune s’évertuait à lui donner. Cela aurait, certes, été plus simple de les laisser réparer leur bêtise sur le champ mais Enoa n’en était pas à sa première bévue. Il reparti à ses petites affaires sans donner de suites à la conversation, le téléphone portable greffé sur l’oreille. Cette injustice n’émouvait point Ange qui resta placide, se mettant docilement en mouvement avec la petite troupe. Le petit Enoa restait étrangement silencieux durant tout le trajet à travers les corridors vers leur destination finale. En réalité, il n’avait pas encore compris où ils allaient et c’est seulement quand il vit la grande porte s’ouvrir qu’il réalisa enfin ce que le directeur voulait dire en les envoyant au trou. Devant eux, un escalier étroit en colimaçon descendait vers une cave sombre dont on ne distinguait pas plus loin que son nez. Enoa eut un mouvement de recul, commençant déjà à se sentir nerveux mais l’un des éducateurs ne lui laissa pas le loisir de s’esquiver. Il l’empoigna par les bras et le poussa de toutes ses forces vers cette ouverture béante. Enoa s’arc-boutait sur ses jambes puis il se mit à hurler.

- Je ne veux pas y aller ‼ S’il vous plaît ! Je ne veux pas ! Je vous obéirais, je vous le jure ! Je vais être sage ‼

                Les éducateurs firent la sourde oreille et même s’il fallut pratiquement se battre avec Enoa pour lui faire descendre chaque marche une par une, ils parvinrent jusqu’à la lourde porte en métal de l’isoloir. Ange, stoïque, les mains dans les poches, suivait la scène avec un certain agacement et les cris d’Enoa ne faisaient qu’amplifier son énervement. Pour un gamin qui faisait son petit malin quelques instants plus tôt, le voilà qui pissait pratiquement de peur et qui marchandait sa liberté contre n’importe quoi. Ange exécrait ce genre de comportement et s’apprêtait à aider les éducateurs en lui mettant une bonne gifle quand il fut poussé sans aucun ménagement dans une pièce en béton sans meuble et sans lumière, hormis une petite veilleuse au dessus de la porte. Enoa aussi fut jeté, comme une vulgaire poubelle dont on se débarrasse, aux pieds d’Ange et la lourde porte se referma prestement sur les deux jeunes garçons, laissant entendre les tours de clé dans la serrure. Durant quelques secondes, le silence régna et Ange en profita pour s'allumer une nouvelle cigarette. Puis, comme la situation se faisait trop calme, il dirigea enfin toute son attention vers un Enoa trop silencieux.

- Ho ! Morveux ! T’as perdu ta langue ? Tu fais moins le malin ?  

                A peine eut-il prononcer ces mots qu’il aperçut la silhouette d’Enoa se ruer sur la porte et la bourrer de coups de poings et de coups de pieds en hurlant de toutes ses forces qu’on lui ouvre la porte! Cette fois, Ange le regardait en fronçant les sourcils pendant une bonne minute sans agir. En effet, Enoa pleurait et il s’acharnait tellement à frapper la porte qu’il devait avoir les ongles qui saignaient. C’était peine à voir et le jeune homme ne pouvait pas se résoudre à le laisser dans cet état. C’était inhumain de sa part, d’autant plus qu’il comprenait ce qui lui arrivait. Il se leva et écrasa sa cigarette, puis, il vint prendre Enoa par la taille avec douceur pour le ramener contre lui. Dès qu’Enoa sentit la chaleur du corps d’Ange dans son dos, il se retourna vers lui et s’agrippa à lui comme à une bouée de sauvetage, enfonçant ses ongles dans ses côtes tout en étant secoué de sanglots.

- Ouvre la porte, s'il te plait ! Je ferais tout ce que tu voudras ! Tout ce que tu veux ! Mais ouvre la porte!, implorait Enoa d’une petite voix suppliante.
- Tu pourras faire tout ce que tu veux, mais ça ne changera pas le fait que je ne peux pas t’ouvrir cette porte. Alors, en attendant, il faut que tu essais de rester le plus calme possible jusqu’à ce qu’ils reviennent. Et fais attention, ici, l’oxygène est limité alors ménage ton souffle sinon on va mourir asphyxier, lui mentit Ange pour l’obliger à rester tranquille. Au fait, je m’appelle Ange Deakins. Et toi ?
- Enoa…..Asai

                Dans les bras de celui avec qui il se bagarrait à peine quelques minutes plus tôt, Enoa tremblait de tout son corps et tentait de contrôler sa respiration du mieux qu’il pouvait. Cloîtré dans cette pièce d’infortune, il n’avait pas d’autre choix que d’attendre la bonne volonté des représentants de l’ordre du centre pour sortir de là. La faible lueur de la veilleuse laissait à Enoa suffisamment de lumière pour distinguer les murs blancs sans fenêtre et une bouche d’aération crasseuse qui le fit frissonner. Il se cacha le visage contre le torse d’Ange en resserrant son étreinte. Il entendait sa voix grave et posée lui parler de tout et de n’importe quoi, lui poser des questions et tout ce qu’il parvenait à articuler était des oui ou des je ne sais pas. Au bout d’un certain temps, Enoa finit par ne plus savoir depuis combien de temps il luttait contre sa phobie, ni de quoi lui parlait son interlocuteur. Toujours est-il qu’il finit par s'endormir dans les bras d’Ange, le corps tout en sueur et il relâcha son étreinte sur ses côtes tout en laissant rouler sa tête sur l'épaule de son bienfaiteur. Le jeune homme le gardait précieusement contre lui et dès que le petit bébé apeuré s’endormi, il alla se caler contre le mur pour se mettre à l’aise et allonger le gamin près de lui en attendant l’heure de la délivrance.

                La sonnerie du déjeuner retentit bientôt dans tout le lycée et Yué dû se résoudre à quitter Nohae. Il ne se sentait guère motivé de devoir retourner auprès d’adolescents dont les seuls soucis se portaient sur les vêtements et les coiffures à la mode. A cet instant précis, il aurait donné n’importe quoi pour repartir avec Nohae et ne pas avoir à supporter la marmaille à longueur de journée. Enoa lui suffisait déjà amplement. Pour cacher sa lassitude à accomplir son devoir de bon citoyen, Yué enfouit ses mains dans ses poches et sans se retourner vers Nohae, duquel il devinait le regard planté dans son dos, il lui adressa à son tour ses propres recommandations.

- Tu sais, Nohae, tu devrais arrêter de tromper Lexi. Et en particuliers, avec cette fille !
- De quoi tu te mêles, renchérit Nohae avec un sourire légèrement crispé.
- Je me mêle de ce que Lexi mérite mieux que ça, lui répondit Yué en se retournant totalement vers lui. Elle est quand même la mère de tes enfants.
- Exactement, Yué ! Mais tu sais, il faudra bien que tu apprennes qu’il y a une très grande différence entre la femme que tu aimes et avec qui tu as des enfants et celle qui te suce et que tu te permets de prendre dans la position que tu veux juste pour te les vider.
- Que de poésie, renchérit Yué qui trouvait que Nohae poussait la vulgarité un peu loin. Mais si un jour, elle te quitte à cause de cette fille, ne vient pas pleurer dans les chaumières. Tu as des enfants et une femme formidable, Nohae ! Ne gâches pas tout ça ! Pas avec elle !, fit Yué en recommençant à s’éloigner.
- Ca n’arrivera pas, fit Nohae avec un certain agacement. J’aime ma femme et mes enfants. Et toi, que comptes- tu faire désormais ?
- Ce que je vais faire ? Hé bien, il y a en bas, un certain flic zélé qui veut coincer notre cher Moonlight. Il veut un nom et j’ai un nom à lui donner !

                Sur ces bonnes paroles et comme de toute façon, il ne parviendrait à faire entendre raison à Nohae, Yué reprit son chemin vers la civilisation lycéenne en accordant à son ami un dernier signe de la main. Il était totalement vrai que Nohae soit dans son bon droit de coucher avec qui il le désirait et comme il le voulait mais le cœur de Yué ne pouvait se résoudre à voir la vie d’un homme, qu’il considérait comme son frère, se détruire à petit feu uniquement pour les atouts d’une jeune fille aux formes avantageuses. Sa femme, Lexi, était une personne merveilleuse, une femme que Yué, si il avait pu en tomber amoureux, il l’aurait lui aussi épousé. D’autant plus que Nohae avait pas mal bataillé pour cette fille courtisée par tant de jeunes hommes. Yué adorait aussi leurs quatre enfants, même si il ne savait pas du tout s’occuper de marmots, et pour lui, la vie que Nohae menait, entouré par ces personnes si chères à son cœur, incarnait l’existence à laquelle Yué avait aspiré toute sa vie durant. La réalité voulait aussi que la personne que son ami fréquentait si régulièrement soit la fille d’un homme pour lequel Yué ne portait à présent plus aucune estime.

                A peine Yué eut il mit les pieds dans le hall qu’un autre surveillant vint à sa rencontre le prévenir que son incident du matin et sa disparition jusqu’à maintenant n’étaient point passé inaperçu et que le directeur demandait à le voir. Yué attendait cette convocation sans aucune surprise et sans prendre la peine de répondre, il prit tranquillement le même chemin qu’Enoa avait emprunté quelques heures plus tôt. L’ambiance calme et sereine de l’administration lui fit le même effet qu’au petit gamin et c’est avec un certain regret qu’il fit résonner les petits coups qu’il donna sur la porte. Yué n’attendit pas de réponse de la part du directeur pour pénétrer dans le bureau et se retrouva face à un homme de taille moyenne assis derrière son ordinateur qui leva sur lui un regard sévère mais sans agressivité. Il le salua avec une certaine politesse et l’invita à s’asseoir. Chose que Yué fit sans se faire prier et attendit, avec tout le respect que cet homme lui inspirait, que l’orage se fasse entendre. Or, il n’en fut pas exactement tel qu’il l’avait imaginé. L’homme abandonna rapidement le travail sur lequel il était penché pour venir s’occuper rapidement de Yué et des forfaits qu’il avait commis durant la matinée.

- Monsieur Yume, votre agression sur un de nos élèves ce matin a reçut des échos très défavorables. Les parents ont été prévenus et sont extrêmement mécontent de la conduite tenue par une personne censée représenter l’autorité dans notre établissement. Il m’a fallut pour cela un certain temps pour les calmer mais je leur ai promis à l’avenir que vous ne reproduirez pas ce genre d’indélicatesse. De plus, au lieu de tenir votre engagement auprès de nous, vous vous êtes éclipsé durant toute la mi-journée ! Monsieur Yume, il faut que vous compreniez que nous ne pouvons tolérer cette attitude trop longtemps et je vous serais gré de vous maitrisé davantage car j’en conviens tout à fait que, parfois, les élèves se montrent d’une insolence extrême.
- Je comprends, monsieur, répondit posément Yué, que je n’ai pas agit de façon adéquat ce matin et je vous prie de m’excuser à ce sujet. Dorénavant, je vais me montrer plus responsable et agir comme tel !

                D’un simple regard échangé entre les deux hommes, Yué comprit que le directeur n’était pas dupe de sa réaction si coopérative mais il était aussi dans l’impossibilité de déterminer quelles volontés animaient Yué. Il devait avoir simplement comprit que derrière cette attitude, Yué cachait une féroce détermination à lui soutirer des informations dont l’utilité pourrait se confirmer pour la suite des évènements. Bien qu’il ne pouvait pas se soustraire à donner des réponses à des questions en apparence anodines, il ne pouvait pas non plus se permettre de divulguer des informations d’ordre confidentielles à un étranger. Le directeur soupira malgré tout car refuser les excuses de Yué sous un prétexte quelconque et, de surcroit, non valable, lui vaudrait sûrement un blâme de l’inspection académique.

- Bien ! Dois-je comprendre par là qu’à l’avenir cela ne se reproduira plus ?
- Vous pouvez en être certain. Mais il m’a semblé entendre que je ne suis pas le seul à avoir eu quelques difficultés d’intégration ce matin !, fit Yué en croisant les mains.
- En effet ! , lui répondit le directeur après un instant de silence. Votre ami, Enoa, a eu un petit incident de par cours qui lui a valut son exclusion temporaire de l’établissement.
- Ha !, s’étonna Yué. Il n’a rien fait de trop grave, j’espère ?
- Eh bien, je n’irais pas jusqu’à dire que cela était grave mais suffisamment pour devoir quitter la classe.
- Alors, continua Yué en se penchant en avant, puisque moi aussi, j’ai mal réagit aujourd’hui, dois je attendre avec lui que monsieur Fernandez envoie quelqu’un pour venir me chercher ?
- Je ne crois pas que ce soit possible. Vous êtes plus responsable que lui, vous pourrez finir la journée. Votre ami Enoa est déjà parti. Il a préféré que son père vienne le chercher pour le ramener au centre.
- Son père ?, s’étonna Yué.
- Oui, monsieur Asai avait laissé comme instruction de le mettre au courant chaque fois que son fils quitterait l’établissement en dehors des heures de cours, lui répondit le directeur, qui, estimant qu’il en avait déjà trop dit, coupa court à la discussion. Mais ceci ne nous regarde pas vraiment et puisque vous êtes décidé de vous acquitter correctement de votre nouvel emploi, je vous saurais gré de retourner à votre poste.

                Puis, comme il se levait, Yué en fit autant et serra cette main qu’il lui tendait avec un sourire. Soulagé que cet homme soit plus chaleureux et compréhensif que ne l’était monsieur Fernandez, Yué se sentait malgré tout comme un poids quitter ses épaules en sortant du bureau et se retrouva hors du bâtiment, toujours accompagné du directeur. En le laissant sur le pas de la porte d’entrée, Yué avisa un jeune garçon d’une quinzaine d’année portant un baggy vert kaki et un large sweat-shirt affublé d’un logo d’une marque relativement connue parmi la population adolescente. Le directeur se dirigea instantanément vers ce garçon et lui posa la main sur une épaule de façon très paternelle et prévenante, ce qui laissa supposer à Yué qu’il s’agissait probablement de son fils. Cependant, il n’eut pas à vérifier par lui-même si cette déduction était la bonne car le garçon, qui voulait aller dormir chez un copain, s’exprimait plutôt fort et son premier mot fut d’appeler le directeur, « papa ». Yué sourit malgré lui, et, curieux de nature, voulait entendre le reste de la conversation même si cela ne le concernait pas. Il alla donc lire une petite affiche placardée sur un mur qui n’était rien d’autre qu’un bulletin d’information annonçant l’arrivée prochaine d’un nouveau surveillant répondant au doux nom de Yué Yume et d’un nouvel élève dénommé Enoa Asai, le tout suivit d’un charmant paragraphe sollicitant les élèves à se montrer amicaux et serviables avec les nouveaux venus. Plus bas, une signature y était attaché indiquant : « Le directeur, monsieur Desposito »

« Desposito ! Je m’en souviendrais, » pensa Yué avec un demi- sourire.

                Il se retourna une dernière fois vers les deux silhouettes qui s’éloignaient lentement vers le parking et il observait, avec complaisance, le jeune garçon qui donnait des explications à son père avec force gestes pour le convaincre du bienfait de son excursion chez son ami alors que son père l’écoutait avec un grand calme. Yué le vit hocher la tête en signe de consentement et son fils, dont le sourire qui éclairait son visage montait jusqu’à ses oreilles, lui sautait dans les bras, ivre de joie d’avoir eu si peu d’effort pour le persuader. Monsieur Desposito paraissait être un bon père, aussi, Yué, n’aimant pas s’attarder à se perdre dans ce genre de pensées néfastes, détournait les yeux en reprenant sa route. Il venait d’avoir l’assurance selon laquelle Enoa et Kenji étaient affiliés par les liens du sang, ce qui, pour lui, était le plus important, mais, malheureusement ou heureusement, cette information venait subitement contre dire les affirmations de Nohae données le matin même. Quelque chose ne tournait pas rond dans cette histoire, apparemment un peu atypique et Yué décida d’attendre de retrouver le sale gamin le soir même dans leur chambre pour lui soutirer quelques renseignements.

                Le soir venu, Yué quitta l’enceinte de l’établissement en tâtant le trousseau de clé dans sa poche. Un vent de liberté soufflait enfin sur lui ! Seulement, sur le parking, les voitures s’alignaient interminablement de long en large et en palpant à nouveau les clés, qu’il finit par les extirper de sa poche pour mieux l’examiner et il s’aperçut qu’elle n’était pas dotée de la télécommande à distance destinée aux véhicules à fermeture centralisée. Cette constatation faite, il revint sur ses pas et longea le muret qui conduisait vers le bâtiment administratif. Là, non loin de l’entrée des bureaux, étaient garé les deux-roues, du vélo à la mobylette, et, seul intrus parmi ces accessoires pour enfants, trônait une énorme moto de couleur rouge, brillant dans la lueur du soir. Autour de l’impressionnant engin, un troupeau de lycéens s’y agglutinait en masse de plus en plus dense. Yué les observait d’abord avec amusement mais comme il ne souhaitait pas du tout jouer du coude pour rejoindre son petit bijou que Nohae avait eu la bonté de faire sortir de chez lui et de le lui amener, il porta deux doigts à sa bouche et siffla, attirant du coup toute l’attention sur lui. Un silence de mort tomba parmi toute l’assistance qui, à l’appel de Yué, se retournèrent tous vers lui en un seul mouvement de foule. Il y eut quelques murmures d’admiration et d’excitation, puis, comme Yué avançait vers sa moto, tel un prince, tous les élèves s’écartèrent en formant une haie de chaque côté pour le laisser atteindre son bien. Un jeune homme se tenait contre la moto et fumait. Il portait un énorme sac de sport en bandoulière et paraissait attendre Yué, à qui il sourit amicalement en lui tendant son fardeau. Ils ne s’adressèrent pas un mot et l’inconnu, qui n’eut plus besoin de fendre la foule, disparut rapidement du paysage. Yué s’installa à son aise sur son engin et la fit vrombir avec un plaisir non dissimulé. Il échangea un sourire avec une jeune lycéenne qui le dévisageait avec des yeux comme des billes et enfila son casque avant de les abandonner, pressé qu’il était de retrouver le petit morveux.

                Cependant, en rentrant dans son repère, il ne put que constater l’absence de son lunatique colocataire. La chambre se trouvait exactement dans le même état qu’ils l’avaient laissé au petit matin et aucune trace de passage ne se décelait dans la pièce puisque, évidemment, Enoa n’aurait jamais abandonné son inestimable petit sac. Yué prit donc son mal en patience et se jeta sur son lit, les bras en croix derrière la tête, pour admirer à nouveau le plafond et faire la synthèse de sa journée. Sa quiétude retrouvée fut bientôt perturbé par de petits coups contre la porte. Yué se doutait que cela ne pouvait pas être le morpion malpoli. Non ! Lui, il ne se donnerait jamais la peine de frapper avant d’entrer ! Il s’agissait certainement soit de monseigneur Fernandez, soit de son bras droit, Blérot. Bien sûr, Yué n’avait pas le temps de le jouer à pile ou face mais il paria sur Blérot tout en se redressant et en adressant un tonitruant :

- Ouais ! C’est pas fermé !

La porte laissa place à la silhouette joviale de Blérot qui adressait un sourire un peu crispé à Yué. Il tenait entre ses doigts, deux cintres fraîchement sorti du pressing et sur lesquels étaient pendus deux bels uniformes bleu marine où on distinguait parfaitement le sigle et les initiales du lycée où Yué et Enoa s’étaient rendu. La perspective de porter ce genre de chose n’enchantait guère Yué qui, pourtant, ne fit ni objection, ni grimace. Il se leva le plus naturellement du monde et vint délester Blérot de sa charge.

- Merci pour cette peine !, lui dit-il. Mais au fait, je croyais que le gamin était déjà rentré depuis ce matin !
- Tu parles d’Enoa ? Et bien...comment dire…, fit Blérot, un peu gêné par cette remarque. Il a été sévèrement sanctionné après avoir encore désobéit. Après son méfait au lycée, il était en charge de repeindre un mur et il ne s’en est pas acquitté correctement. Mais…Ne t’en fais pas pour lui ! Tu le retrouveras demain pour l’emmener en cours !
- Vraiment !, répondit Yué en haussant un sourcil et dont la réponse de l’éducateur ne le satisfaisait pas du tout. Où est-il présentement ?
- A l’heure actuelle !, continua Blérot, de plus en plus mal à l’aise. Il purge une petite peine dans l’isoloir du centre. Rien de bien méchant ! Il s’agit juste de l’effrayer un peu !
- L’effrayer ?, poursuivit encore Yué avec un scepticisme plus que visible. Quand tu dis isoloir, tu dis enfermement ! Laisse-moi te dire, pour ton information, que le gamin a de graves problèmes de santé, surtout au niveau respiratoire !
- Il est asthmatique ?, s’enquit avec inquiétude l’éducateur.
- Oui, fit Yué qui se saisit de cette opportunité. Et il se pourrait même qu’en étant enfermé, il cesse de respirer totalement pendant une de ses crises et que tu ne retrouve que son cadavre déjà refroidi quand tu en ouvriras la porte.

                Un peu paniqué, voire même énormément, en apprenant cette nouvelle, l’éducateur commença à transpirer à grosses gouttes et sortit son mouchoir crasseux pour s’éponger le front. Yué apprécia l’effet de terreur qu’il venait d’imprimer en Blérot, néanmoins, il se contenta de conserver la même expression impassible et, posément, il alla suspendre son uniforme dans son placard. Le stress de cet homme devenait plus que visible tant ses mains tremblait et l’inquiétude grandissait dans son regard tandis que Yué déposait l’autre vêtement sur le lit d’Enoa. Blérot faisait mine d’être aussi détendu que possible, puis, s’excusant grassement de ne pouvoir rester plus longtemps en compagnie de Yué, il finit par littéralement prendre les jambes à son cou. Un demi-sourire bien malin apparut alors sur les lèvres de Yué qui alla nonchalamment refermer la porte. Il rejoignit son uniforme qu’il empoigna à pleine main et, devant le miroir, se l’ajusta superficiellement. C’était bien la bonne taille ! Malgré tout, Yué s’en serait parfaitement passé. Ces vêtements lui donnaient l’air d’un gentil fils à son papa qui fait ses études. Une fois l’uniforme parfaitement enfermé dans son placard, il retourna se jeter sur le lit en espérant que son petit numéro lui ramènerait Enoa.

            La nuit était déjà très avancée quand Enoa, revenu se pelotonné contre Ange, entendit la clé tourné à nouveau dans la serrure et il se redressa brutalement, en manquant d’assommer Ange au passage, déjà tout stressé quant à savoir ce qu’il adviendrait de lui. Enoa serrait la main d’Ange dans les siennes, attentif aux moindres mouvements de la porte et, lorsque deux silhouette entrèrent dans la cellule, Enoa se fit sage pire qu’une image et mieux qu’un ange pour ne pas être à nouveau enfermé. Le directeur lui rendait son regard en affichant le même sourire que celui qui ornait sa bouche lorsqu’il les avait laissé plus tôt dans la journée. Sa mine réjouie traduisait sa jouissance excessive par rapport à l’attitude extrêmement soumise d’Enoa et donc, pour ne pas céder à ses nerfs pourtant d’acier, Ange serra les dents, tant il se retenait de refaire le portrait de cet homme abject. De plus, il y avait toujours Enoa collé à lui, dans ses bras et un de ses poings reposait entre les mains d’Enoa. Par-dessus le marché, il sentait la profonde angoisse du bébé dont la fébrilité secouait tout son corps, de la tête aux pieds et qui essayait de ne pas bouger d'un poil ni même d'un cil alors que monsieur Fernandez se pavanait, heureux d’être si impressionnant. Le bon sens du grand gaillard lui dictait de se faire plutôt discret que de se placer dans la ligne de mire de Fernandez, ce qui étant dit, n’arrangerait pas ses affaires.

- Bon allez ! Je crois que vous avez retenu la leçon ! Hein, Enoa ?, aboya-t-il avec de la fierté dans la voix.

                Il leur fit signe de déguerpir et Enoa, préférant ne pas se faire prier, en profita pour pratiquement s’enfuir à toutes jambes de la pièce sans plus se soucier du sort d’Ange. Celui-ci n’en voulait pas du tout à Enoa d’adopter ce comportement qu’on pouvait qualifier de lâche si on ne le connaissait pas. Le petit venait de vivre une après-midi des plus éprouvantes, en particuliers pour un jeune claustrophobe tout sensible comme lui. Ange se leva lentement, prenant tout son temps comme si de rien n'était et ignora le directeur en s’éloignant, le foudroyant rapidement du regard au passage. Peut être impressionné par le sang-froid du jeune homme, la lueur hautaine de Fernandez vacilla quelque peu avant de reprendre de l’assurance et d’afficher à nouveau ce faux sourire qui énervait autant Yué qu’Ange. Le jeune homme reprit, avec une certaine sérénité, le chemin de l’air libre et de sa chambre par la même occasion. Alors qu’il s’apprêtait à escalader l’escalier qui le mènerait à son étage, un autre jeune du centre lui coupa la route, se plaçant bien en face de lui pour l’empêcher de faire un pas de plus, et le toisa du regard, les yeux bien enfoncés dans les siens.

- Alors comme ça, on s'amuse à se faire enfermé avec le gamin !, lui dit le gars sur un ton sérieux et peu amical.

                Il le détaillait de haut en bas, d’un coup d’œil vif et rapide. Hiromu, encore à moitié couvert de peinture et éreinté d’avoir eu à rassuré le pauvre petit bébé tout terrifié, nota la provocation sans pour autant y répondre. Pour le moment, les états d’âme de ce garçon ne l’intéressait pas plus que ça d’autant plus qu’il était relativement pressé d’aller se laver et de se caler confortablement dans son lit. Toutefois, son interlocuteur avait décidé de ne pas en rester là, car Hiromu le savait, il avait à faire avec un curieux de nature qui risquait de le soumettre insidieusement à un interrogatoire dans les règles de l’art. Il ne détacha pas son regard du sien tout gardant toute son attention sur les mots qui sortiraient de la bouche du jeune homme.

- Content de te voir reprendre le bon chemin des honnêtes gens, continua-t-il sur le même ton. J'imagine que t'es pas là pour rien !

                A cette boutade assez sarcastique, Ange offrit un sourire à celui qui lui avait adressé la parole. Évidemment, à quoi pouvait-il s’attendre de la part de Yué ! Monsieur la fouine, toujours au courant de tout, venait aux nouvelles ! Malheureusement pour lui, il n’y avait rien que Yué ne sache déjà alors à quoi bon lui faire un rapport. Surtout qu’ils n’étaient même pas amis car se supporter, voire se tolérer mutuellement, relevait déjà du mythe et de la légende. Il gravit la marche pour se retrouver à la même hauteur que Yué et s’arrêta près de lui, presque épaule contre épaule.

- Parfait ! Nous voilà loger à la même enseigne, lui répondit-il, imperturbable. Et à tripoter les mêmes paires de fesses !
- Les fesses de ce gamin comme tu le dis si bien, j'en ai rien à foutre. Tu peux bien faire ce que tu veux avec tant que ça touche pas à ma vie, je m'en balance complètement, crois-moi !, poursuivit-il en affichant son sourire en coin qui voulait tout dire. Tu risque d'avoir de sacrées surprises !
- Des surprises?, fit Ange en haussant un sourcil. Si tu n’as rien de plus instructifs à m’apprendre, tu ne verras pas d’inconvénient à ce que je te fausse compagnie.
- Je sais ce que tu fous là et ce que tu vas foutre, continua Yué. Si tu aimes tant les fesses du gamin, oublies pas que j'ai une longueur d'avance sur toi ! Et n’oublie pas, les murs ont des oreilles, Ange ! Fais gaffe à toi quand tu sors ! Tu ramènes des parasites !

- Contre les parasites, il existe toujours un remède, lui répondit-il avec tranquillité avant de gravir les marches et rejoindre sa chambre.

« Je voulais dissimuler mon âme….. »

Yué le regarda s’engager dans le couloir qui menait à sa chambre et son expression devint plus grave car, en vérité, tout commençait à s’embrouiller dans son esprit. Plus rien ne semblait avoir de logique à l’heure actuelle ou bien, à cause de la nuit déjà fortement avancée, Yué ne parvenait plus à penser de façon rationnel. Il retourna dans sa chambre, perdu dans ses pensées, et découvrit le gamin déjà tout propre et pelotonné, comme une chenille dans son cocon, dans ses couvertures. Yué referma précautionneusement la porte sans le quitter des yeux et s’y appuya longuement. La vitre découpée avait été remplacé par un ventilateur de fenêtre et Yué remarqua que, curieusement, Enoa n’avait pas éparpillé ses affaires mais qu’il avait consciencieusement tout rangé, uniforme y compris, dans son placard. Une odeur de peinture fraîche lui parvenait de la salle de bain et lui fit comprendre que le gamin y avait abandonné ses vêtements sales. Un vrai petit ange ! Sans réfléchir, Yué s’avança jusqu’au lit du bébé endormi et écarta légèrement la couverture de manière à découvrir son visage. Enoa dormait profondément, les poings serrés et le bouche boudeuse, et la chaleur de la couette lui avait rosit les joues, lui donnant vraiment un air de petit poupon angélique. Attendri par ce tableau plutôt inattendu d’Enoa, Yué s’assit à ses côtés, et, lentement, sans réfléchir, il passa sa main sur la joue tiède du bébé. Celui-ci remua un peu ses lèvres en poussant un léger soupir et poursuivit son périple au pays de Morphée.

- T’es vraiment un sale gosse ! Tu le sais çà ?

                Il glissait ses doigts sur les mèches qui ornaient le petit visage du bambin et soupira. Ce petit ange ne paraissait même pas s’apercevoir à quel point, et sans raison particulières, il bouleversait tout son univers. Sa respiration calme et régulière contrastait étonnement avec le Enoa réveillé mais curieusement, le voir ainsi apaisait le cœur de Yué. Il se pencha vers Enoa et ramena ses doigts sur les lèvres corail de la petite teigne pour lui caresser timidement la lèvre inférieure. Il ferma les yeux quelques secondes, puis, se penchant à nouveau vers lui, il déposa sur sa tempe un baiser tendre et doux avant de rejoindre son lit et de s’endormir à son tour. 

Il fut réveillé au petit matin, non pas par la retentissante sonnerie, mais par un Enoa qui tentait vainement de lui voler sa couette comme il l’avait fait pour lui. Yué, à moitié enroulé dedans, ouvrit un œil et se tourna vers lui en prenant appui sur un coude. Le petit, absorbé par sa besogne, ne l’avait pas remarqué et ses fins petits bras s’acharnaient éperdument sur le couvre-pied de Yué. Après avoir baillé pour bien réaliser que cette scène surréaliste ne soit pas un rêve, d’un geste vif, Yué se saisit d’un des poignets de la petite teigne et le tira contre lui dans le lit.
 
- Bonjour, Enoa !  

Le gamin se retrouvait donc allongé sur lui, les yeux tout écarquillés et pleins de surprise, effleurant le visage de Yué et s’apprêtait à lui répondre quand Yué vint l’embrasser à la commissure des lèvres. Ce fut avec un sourire amusé que Yué constata que le rouge montait aux joues du bébé et le rendait muet comme une carpe. Il relâcha Enoa pour s’asseoir dans le lit et continua de le fixer avec son sourire en coin tel un garnement qui venait de jouer un mauvais tour. Le sale petit môme baissa les yeux, et, sans plus donner d’explication à Yué, il alla se réfugier dans la salle de bain sans demander son reste. Contre toutes attentes, Yué fut surpris de constater que le petit l’attendait pour descendre prendre le petit déjeuner et, même sans prononcer un mot, il resta sagement avec Yué jusqu’à ce qu’ils arrivent au lycée où leurs chemin se séparèrent. Yué rejoignit tranquillement son poste tout étant absorbé par l’analyse de cette attitude quelque peu étrange pour un gamin qui s’était sans cesse montré agressif et fort désagréable. 

Enoa, quant à lui, refit irruption dans la salle de cours sous les yeux ébahis des élèves qui le croyaient viré pour deux jours encore. Il reprit paisiblement sa place près de la fenêtre qu’il se permit d’entrouvrir sans trouver d’opposition de la part de ses camarades. Respectant à la lettre son rôle de petit branleur de service, Enoa n’adressa pas la parole à qui que ce soit, pas même un petit bonjour à ceux qui débarquaient et encore moins à ceux qui le dévisageaient. Ange, accompagné de ses amis, regagna aussi sa place dans l’école et la classe où il avait été muté. Le cours tardait à commencer et, dans le brouhaha ambiant, son regard se posa sur un petit métis aux cheveux châtain et aux yeux verts qui gribouillait sur un petit carnet. Il s’approcha de lui, un peu surpris par une attitude aussi pondérée. On ne pouvait pas en dire autant de sa part le jour précédent et aujourd’hui, l’occasion de vraiment lier connaissance avec le petit dans des circonstances plus calme, se présentait à lui. L’ayant vu arriver sur lui, le gamin rangea rapidement son petit carnet en faisant semblant de ne pas l’avoir remarqué.

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