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- On a couché ensemble?, articula-t-il enfin dès que les marques d’affections se firent plus calmes.
A cette question, la petite s’arrêta net et le regarda avec étonnement en secouant la tête énergiquement pour bien lui démontrer à quel point il se trompait. Cette irruption soudaine tira Yué de sa torpeur passagère et lui rendit sa lucidité habituelle, ainsi que tous ses soupçons. Il s’avança vers les deux tourtereaux et, se penchant vers la gamine, il détailla rapidement son petit visage qui faisait aussi poupée de porcelaine que celui d’Enoa. Extérieurement, Yué présentait un calme inébranlable mais intérieurement, il était profondément bouleversé par la ressemblance entre la gamine et le gamin. En effet, comme Enoa, elle était métissée, les cheveux châtain clairs, de longs cils noirs, une belle peau de pêche blanche mais de beaux petits yeux bleus. De nombreuses questions, aussi suspicieuses les unes que les autres, assaillaient son esprit, à savoir si elle aussi travaillait pour le compte d’Asahi ou de Kenji, ou si, à une heure où elle devrait être en cours, était-ce vraiment par le fruit du hasard qu’elle fasse l’école buissonnière en même temps qu’eux et se retrouve, encore comme par hasard, non loin du magasin duquel ils sortaient ? Pour obtenir la réponse à ses questions, Yué prit un ton et un sourire très amical avec la fillette, puisqu’il ne fallait en aucune sorte effrayer le petit chaperon rouge. Il lui souleva légèrement le menton pour l’admirer de plus près et s’extasia ainsi :
- Oooh ! Tu nous avais caché que t'avais une si jolie petite amie. Faut être galant, Enoa. On va inviter la demoiselle à manger une glace.
Pour toute réponse, dès qu’il prononça le mot « glace », les yeux de la jeune fille se mirent furieusement à pétiller et ce fut avec un énorme sourire qu’elle vint se suspendre à son bras. Tactique d’approche ou innocente gamine ? Yué ne pouvait en avoir le cœur net qu’en ne l’ayant sous les yeux encore quelques temps. Il avisa un petit café au coin de la rue vers lequel il entraina la petite furie.
- Mais je la connais pas, cette pisseuse, protestait Enoa, un peu énervé que Yué se laissa si facilement peloté.
Parce que, oui ! Pour Enoa, Yué se faisait tripoter le bras par une parfaite inconnue et il ne protestait pas. Il paraissait même en être satisfait et cela mettait le marmot complètement hors de lui car il pensait celui-ci bien plus farouche que ça. Enoa n’en avait cure de cette fillette en ébullition, sautant sur tous les hommes, ou plutôt les garçons dans leur cas, et qui se vendait pour une glace. Il se sentait aussi vexé que Yué ne lui prête aucune attention et se mit à les suivre en faisant une moue boudeuse. Lui aussi avait avisé ce café et au fond de lui, il ne voulait pas que Yué paye quoi que ce soit à cette fille.
- Et depuis quand tu décide pour moi, continuait-il de crier en suivant le mouvement. Yué ! Yué !
Yué prenait le large avec elle sans prêter attention aux protestations d’Enoa, car, s’il avait quelque chose à cacher, à présent, s’en était terminé pour lui. Parmi la petite troupe, un seul d’entre eux avait gardé le silence. Pendu au bras de Yué, la petite tourna son petit visage vers Ange et s’immobilisa immédiatement pour rester le fixer très longuement avec de petits yeux tout ronds. Son grand sourire épanoui se transforma soudainement en large sourire réjoui, comme pris d’une admiration devant une œuvre d’art. Par contre, lui et la pucelle ne devaient pas avoir le même genre de pensées à cet instant précis où leurs regards se croisèrent sous le ciel tout couvert de la fin de l’automne. Ange n’en avait cure de cette fille. Or, il agit malgré tout avec galanterie et civilité envers elle.
- Salut ! Comment tu t’appelles ?
Yué haussa un sourcil, agacé par l’intervention intempestive de son « meilleur ami » et poussa doucement un soupir d’impatience. Ce parasite se permettait d’ouvrir la bouche alors qu’il savait pertinemment que le son de sa voix résonnait à ses oreilles comme une guitare mal accordée, mais, par fierté, il ne se risquait pas le moins du monde à lui laisser le plaisir de lui gâcher sa journée. Pour Yué, rien que la présence de ce gars dans un périmètre de cinq cent mètres autour de lui, était un supplice aussi intense que le paradis du bon dieu où il n’y avait pas d’herbe à fumer. Pour se reprendre, il adressa un regard au boudeur d’Enoa qui le fustigeait de ses yeux inquisiteurs, car il ne paraissait pas se remettre de l’intervention de la belle dans leur après-midi sortie. Yué, étonné et amusé par Enoa, lui fit un petit clin d’œil furtif avant de reporter à nouveau toute son attention sur le manège de son ami, Ange. Sans un mot, sous sa façade très calme, il surveillait chaque mouvement de ce rival, même le moindre déplacement d’un seul de ses cheveux n’échappait pas à la vue acérée de cet oiseau de nuit. Par contre, pour Enoa, c’était la goutte qui faisait déborder le vase. Il passa derrière la petite troupe, effleurant nerveusement le docile Yué avec une forte envie de l’étrangler et entra dans le café pour se commander une bonne bière.
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